Québec Yachting

SENSE 50

Sense 50.

Circulez, y’a rien à voir! Et pas grand-chose à faire non plus. Le nouveau bateau amiral du chantier vendéen pousse le principe au paroxysme et engage un bras de fer avec les principes reçus. Sur le Sense 50, en effet, on ne voit rien. En tout cas, rien qui gêne. Pas une écoute qui traîne, pas une drisse en bobette dans les pieds, pas une manivelle introuvable. Rien à voir, sauf le spectacle de la côte qui défile ou de la mer qui s’étire. Rien à faire : toutes les manœuvres sont renvoyées aux winches électriques dotés d’avaleurs, à portée de main du barreur qui doit les bouger un peu s’il ne veut pas s’ennuyer ferme. Pour les autres, c’est farnienté à tous les étages et encore. Même l’étage s’efface dans la foulée de la descente, remplacée par trois marches qui mettent le carré quasiment de plain-pied avec le cockpit.

Pari audacieux et sur blindé avec le système « dock & go » qui transforme les 15 mètres de coque en joujou de bassin aussi facile à glisser dans une souricière de ponton qu’un tiroir à ouvrir. Le propulseur d’étrave, couplé à l’embase saildrive pivotante sur 360°, joue au bilboquet tout seul.

Un carré à fleur d’eau

Le ton est donné et la suite est une partition bien réglée. Le cockpit est radicalement transformé. Bien loin de l’ancêtre Océanis 50, il prend la totalité de l’espace jusqu’aux passavants, devient un second carré à fleur d’eau, quasiment un swim bridgedoté d’un bar tropical en terrasse. Le barreur, relégué au rang de timonier, est du coup repoussé vers le tableau arrière, les fesses au frais au-dessus de l’eau. Situation enviable : seul à être dans l’axe du bateau, assis sur un demi-canapé jupitérien, il est aussi le seul à pouvoir se distraire avec les instruments, cartes, traceur, radar, sondes, radios diverses, joystick, pilotes automatiques, routeurs météo et autres joujoux vidéo qui viennent tous s’étaler sous ses yeux. Au près par 21 nœuds, à 40° du vent réel, il note 7,6 nœuds de vitesse. Les deux safrans font ronronner une barre très précise. Pour lui, c’est Noël chaque seconde, sans les paquets à ouvrir.

Ses hôtes pourraient l’envier, mais ce n’est pas ce qu’on leur demande. Ils sont là pour goûter aux frissons de l’oisiveté dorée, sans témoins fâcheux pour gâter le plaisir de la bonne conscience. Les voyeurs solidaires, ce sont eux. À peine happés vers l’intérieur, probablement appâtés par les effluves filtrant de la cuisine aux dimensions romaines, le spectacle grandiose de la mer ressurgit devant eux sur 135°. La lumière éclabousse le vaste espace par d’immenses hublots, ruisselle du plafond par les panneaux et rappelle nettement les vastes carrés de multicoques. Là encore, on baigne au milieu de l’océan. La coque n’est plus un rempart, mais un diaporama vivant. Aucun faux pas à craindre dans l’agencement, particulièrement riche en astuces de rangement, en escamotage pertinent, jusqu’à la méridienne de la table à carte qui s’incline pour adosser le navigateur à la gîte.

Décor d’Agatha Christie…

Le choix de surbaisser les planchers interdisant les cabines arrière, aucune circulation ne vient brouiller la sérénité de l’endroit. En revanche, cette même option impose un accès moteur assez acrobatique, à plat ventre plutôt qu’à genoux. On peut néanmoins accéder aux organes moteurs par le local technique dans le cockpit. Passé le carré, on accède aux espaces privés par une coursive qui rappelle les décors d’Agatha Christie, toute de bois carminé, extrêmement luxueuse.

Une première cabine sur bâbord abrite un lit double très spacieux, généreusement éclairé, donnant sur une salle d’eau privative avec son propre WC, son lavabo et sa douche séparée sous 2,05 m de hauteur sous barrot! En face, un bureau face au hublot permet de s’isoler pour travailler. Au bout de la coursive, la cabine propriétaire possède sa propre salle de bain, isolée de la chambre par une porte. Le lit est accessible par les trois côtés, entouré des lumières venant de la coque comme du pont. Une table de travail adossée à l’une des deux penderies est surmontée de l’écran TV escamotable pour les mordus de Michael J. Fox ou pour regarder les news. Aussi bien qu’une chambre d’hôtel.

C’est dans ce mélange d’intimité feutrée et d’espaces communs étroitement liés au spectacle de la mer, dans l’association entre le plaisir de naviguer sans contraintes et celui de chevaucher une carène aussi puissante qu’élégante, que se trouvent les raisons du succès de ce bateau résolument novateur. Porteur d’une idée un peu folle : imaginer que des navigateurs puissent dépenser autant d’argent pour un monocoque de série (512 000 euros dans sa version la plus aboutie), le Sense 50  a convaincu. Immédiatement après sa présentation au Salon de Cannes, 50 commandes étaient enregistrées. Son petit frère, le Sense 43, conçu sur le même principe, a déjà été construit à plus de quarante exemplaires. Enfin, pour bien montrer que le concept de yacht swim bridge allait désormais guider le développement des unités les plus prestigieuses, un Sense 85 est actuellement à l’étude.

Caractéristiques principales

Longueur (hors tout) : 14,98m /  49 pi 2 po
Largeur au maître bau : 4,86m / 15 pi 11 po
Surface de voile/standard : 122 m2/ 1313 pi2
Réservoir de carburant : 415 litres / 110 gal US
Capacité eau : 530 litres / 140 gal US
Poids : 14 150 kg / 31 195 lb
Motorisation standard : 75 ch
Architecte : Berret Racoupeau Yacht Design
Constructeur : Beneteau

Thierry Montoriol

* Texte provenant de la parution Essais 2011 du magazine Québec Yachting.