Québec Yachting

La retraite à voile – Partir seul

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Naviguer sur le lac Lough Derg en Irlande. Crédit photo : Sean O’ Dwyer, Shutterstock.

L’idée d’une retraite à bord vous séduit-elle? La très grande liberté de naviguer les mers, d’aller voir ce que cache l’horizon vous tente? Mais voilà, vous êtes seul. Est-il possible de partir seul? Est-il intelligent de partir seul? Est-il sécuritaire de naviguer en solitaire?

Évidemment, plusieurs couples voguent en ce moment autour du monde ou profitent d’endroits féeriques sans nécessairement traverser des océans. Cette vie vous tente, mais comme vous êtes seul, vous avez des appréhensions? La question se pose : pouvez-vous sérieusement envisager partir en mer à la retraite? Même seul?

Naviguer en solitaire est moins facile qu’en équipage, c’est évident. Est-ce plus dangereux? Oui. Est-ce difficile? Oui. Est-ce possible pour vous? Probablement. Je navigue en solitaire depuis onze ans et j’ai 77 ans. Donc, il est certainement possible et pas affreusement dangereux ni extrêmement compliqué de sortir seul naviguer, même à la voile et en mer. Il faut être bien préparé, passablement aguerri et en bonne santé.

La pratique de la navigation en solitaire est-elle répandue? Plusieurs grands navigateurs ont choisi de naviguer en solitaire. Le premier, Joshua Slocum, a choisi de naviguer seul. Sans emploi, la marine à voile étant remplacée par la vapeur, Joshua végétait. Un ami lui fit cadeau d’une vieille barque à voile de 11 mètres à fond plat, abandonnée dans un champ depuis sept ans. Il rebâtit ce voilier et tenta la pêche aux huîtres sans succès. L’idée d’un tour du monde en solitaire lui sourit. Slocum était un capitaine de voilier très expérimenté. Son tour du monde en solo était une première. Il était même un des premiers (sinon le premier) à partir en mer pour le simple plaisir de naviguer et non pour y gagner sa vie. Il réussit cette circumnavigation, qu’il raconta en plusieurs épisodes dans un grand journal. C’était lancé, la longue navigation en solo était réalisable, excitante, tentante.

Bernard Moitessier a navigué souvent seul, lui aussi, et par choix. Au retour, en tête de la première course autour du monde en solitaire, il abandonne pour éviter de devoir cesser cette vie et continuer vers l’océan Indien. Il démontrait que la navigation en solitaire était non seulement possible mais, pour certains, désirable au point de tout abandonner.

Depuis, tous les quatre ans, le Vendée Globe offre aux plus grands navigateurs une course autour du globe en solitaire, sans escale et sans aide. Très dangereuse à ses débuts, cette course l’est maintenant beaucoup moins. Les limites de navigation ont changé et on évite le pire de l’océan sud. (Gerry Roufs, un mordu de voile montréalais, y est disparu en mer le 6 janvier 1997, alors qu’il participait à l’édition 1996-1997 du Vendée Globe. Il avait 43 ans.)

Si vous envisagez une retraite en mer et que vous êtes seul ou que votre partenaire ne montre aucun intérêt pour la mer, vous pouvez probablement, en vous préparant bien, réaliser vos rêves.

Faut-il être un marin expert pour naviguer en solitaire? Il faut certainement être expérimenté. Il n’y aura que vous, le bateau et la mer. Comment mouiller l’ancre quand on est seul? Plus difficile, comment lever l’ancre en solo? Comment hisser les voiles? Comment assurer le guet quand il nous faut manger et dormir? Comment accoster? Toutes les manœuvres, même les plus simples, deviennent difficiles. Pourtant, bien des gens, tous les jours, naviguent seuls. Pas très facile mais certainement réalisable. Le bateau peut être adapté pour rendre certaines manœuvres plus simples. Une télécommande près de la barre pour actionner le guindeau et permettre de descendre ou monter l’ancre sera d’une aide précieuse. Les drisses et bosses de ris ramenées au cockpit aussi.

Le type de bateau a son importance. Bateau moteur, voilier monocoque ou catamaran sont assez différents. Tout de suite, je peux dire que le catamaran et le monocoque sont semblables et qu’un bateau moteur sera bien plus facile à manœuvrer en solitaire. Mais le bateau moteur qui permet de traverser les océans est très cher. Très peu de gens optent pour la grande navigation à moteur. Plus le bateau est grand, plus il est confortable; mais aussi, plus il est difficile d’y hisser et régler les voiles. On peut avoir recours aux automatismes (winchs électriques, etc.), mais encore faut-il pouvoir les utiliser manuellement et seul en cas de panne! En général, un moins grand bateau sera moins difficile à naviguer seul. Il s’agit donc, en solo comme en équipage, d’un compromis entre difficulté de manœuvres versus confort et vitesse.

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Naviguer seul sur son voilier à la retraite, c’est possible! Crédit photo : Daxiao Productions, Shutterstock.

Il vous faut tout d’abord savoir naviguer dans toutes les conditions et je crois préférable de prendre son expérience en équipage. Il est important de savoir bricoler et réparer autant le mécanique que l’électrique. Mieux vaut savoir recoudre une voile, épisser un cordage, cuisiner convenablement. Bien connaître son bateau est un atout important. Ne pas oublier aussi qu’en mer, les conditions de travail peuvent devenir très difficiles.

La solitude peut devenir oppressante à certains. Cela dépend évidemment du tempérament de chaque personne. Mais avec l’expérience, ce sentiment de totale solitude devient plus doux. On en arrive presque à l’aimer. On apprend à ne dépendre que de soi. Si on tombe à la mer, personne même ne le saura. Mieux vaut porter un harnais, évidemment, mais si on passe par-dessus bord, il faut être retenu assez court pour ne pas avoir à sortir de l’eau quand le bateau file à sept nœuds.

Si vous choisissez de partir seul, il est habituellement assez facile de trouver des équipiers pour les longues traversées. Naviguer en solo dans la région de New York, par exemple, n’est pas recommandable. Comment dormir et assurer un guet efficace? Il y a bien le radar qui peut nous réveiller quand un avertisseur lui est branché et qu’on programme une zone de sécurité tout autour. Mais il y a tant de navigation dans cette région qu’il sifflera très très souvent et qu’il deviendra difficile de se reposer, même un peu. Il faut donc alors prévoir plusieurs escales le long de la côte. C’est possible. Mais imaginez une petite avarie durant une telle navigation. Une panne de moteur, par exemple. Quelques saletés dans le carburant diesel bouchent la canalisation et le moteur s’arrête. Impossible ou presque de passer « l’inlet » étroit et achalandé face au vent. Comment réparer tout en assurant un guet efficace? Quand on est plus loin en mer et que l’horizon ne montre aucun navire, on dispose d’une dizaine de minutes. Alors, on peut utiliser une minuterie à 5 ou 7 minutes et descendre réparer durant ce temps avant de devoir impérativement remonter scruter l’horizon.

Peut-être ne devriez-vous pas renoncer à votre rêve, même si vous êtes seul à désirer partir. Si vous n’avez pas suffisamment d’expérience et de connaissances de la voile, il peut être possible de les acquérir. Quand le moment sera venu d’une première navigation en solitaire, repassez dans votre tête toutes les manœuvres nécessaires et imaginez les difficultés qui peuvent survenir et les actions que vous devrez entreprendre. En êtes-vous capable? Vous accostez au quai de service par vents de différentes directions et personne ne vient prendre votre amarre. Pouvez-vous repartir sans difficulté? Les autres embarcations vous laissent-elles suffisamment de place? Et si un vent de travers pousse votre voilier sur le quai? Vivez alors d’avance toute la manœuvre dans votre imagination en pensant et en choisissant vos options en cas de difficulté. Au fait, il n’est pas bête de faire ainsi, même quand on est en équipage et d’avertir l’équipage de ce qu’ils devront faire si…

Voici un petit truc que j’ai utilisé à la suite d’une panne de moteur due à un bris de transmission. Pas de vent du tout près de la côte. En arrimant l’annexe sur un côté, mais vers l’arrière, j’ai pu utiliser son moteur hors-bord pour déplacer mon voilier. Avant de remonter à bord depuis l’annexe, j’avais allongé par un bout la « clé » qui coupe le contact du hors-bord. Ce bout fixé à une filière me permettait de couper le moteur hors-bord au besoin. Vous seriez surpris de l’aisance de manœuvre qu’on obtient. J’ai ainsi parcouru une dizaine de milles nautiques en mer pour venir accoster à la marina.

Il peut vous arriver, même si vous êtes en couple, d’être seul pour assurer la navigation. Il est plus difficile que le croit un néophyte de naviguer en solitaire, mais peut-être plus facile que ne le croit un marin d’expérience. Utilisez votre imagination avant que ne survienne le problème et voyez les solutions possibles.

Bons vents à tous les solitaires!

Par Michel Brassard

*Cet article a été publié dans le magazine Automne 2016 de Québec Yachting.