Québec Yachting

Campagne 2016 à bord de Dance Me – La suite de notre formidable aventure en mer Égée

Photo 2 - La magnifique petite ville balneaire de Loutra Adipsou frequentee par des touristes grecs au nord de l ile d Eubee.

La magnifique petite ville balnéaire de Loutra Adipsou, fréquentée par des touristes grecs, au nord de l’île d’Eubée.

15 septembre 2016 – Nous sommes ancrés depuis quelques jours déjà dans une baie bien à l’abri, tout juste en face de la petite ville de Datça, sur la péninsule du même nom, en Turquie.

Notre campagne 2016 s’achève sous le signe de la détente. Une pause bien méritée après avoir complété, au départ de Marmaris, en Turquie, le tour complet de la mer Égée en sens inverse des aiguilles d’une montre pour relier au nord le merveilleux archipel des Sporades. Nous aurons tout au long de notre périple parcouru plus de 1500 mn et effectué 65 escales en moins de 155 jours de navigation. Nous aurons traversé le corridor du mythique meltemi à deux reprises et goûté à la clémence mais aussi aux colères de Dame nature. Nous aurons été à quelques reprises poussés malgré nous hors de notre zone de confort! Cela nous aura permis de tester notre capacité à manœuvrer harmonieusement et efficacement en équipage réduit ainsi que celle de Dance Me à faire face à des conditions extrêmes. Enfin, nous aurons une fois de plus repoussé nos limites et soudé davantage notre esprit d’équipe.

Après avoir passé 15 jours dans le magnifique archipel des Sporades, lequel a fait l’objet de notre dernier article que nous vous invitons à lire dans l’édition Automne 2016 du magazine Québec Yachting, nous amorçons notre retour vers les Cyclades, puis les îles du Dodécanèse. Nous emprunterons le canal de Trikeri, le golfe de Vorios qui sépare l’île d’Eubée, étroite et longue de 400 km, du continent grec, l’étroit canal de Chalkis et son pont rétractable, puis le golfe de Notios avant de retrouver plus au sud les grands espaces de la mer Égée et des Cyclades.

Photo 1 - La rencontre d un dauphin a l entree de la baie de Boufalo venu nous accueillir.

La rencontre d’un dauphin à l’entrée de la baie de Boufalo, venu nous accueillir.

Nous convenons de passer notre chemin à l’entrée du golfe de Pagasetic (aussi appelé le golfe de Volos) faute de temps. Nous nous promettons toutefois d’y revenir pour explorer ses nombreux mouillages. Nous ferons escale à Pteleon, tout au nord, juste à l’entrée du golfe. Ici, dans ce petit village côtier, aucun commerce ni même de boulangerie. Tous les approvisionnements arrivent chaque matin sur la minuscule place centrale par camion! Ainsi se succèdent, à compter de 10 h et à 20 minutes d’intervalle, parfois l’un derrière l’autre, le poissonnier, la boulangère, le boucher, le marchand de fruits et légumes et même la mercerie ambulante! Nous en profitons pour nous réapprovisionner avant d’amorcer la descente du golfe de Vorios.

Nous levons l’ancre vers 11 h pour une journée qui s’annonce longue, puisque le golfe a pris l’allure d’une véritable nappe d’huile. Nous avons 25 mn nautiques à parcourir. Il fait très chaud sous le bimini, en plus de devoir supporter les odeurs de diesel poussées dans le cockpit par une légère brise arrière. Nous ferons escale à Loutra Adhipsou avec l’espoir de retrouver, le lendemain, des conditions plus favorables à la voile. Les vents dominants du nord dans cet étroit corridor devraient pourtant nous favoriser davantage, mais bon, Dame nature a toujours le dernier mot! Le 14 juillet, nous relions le mythique pont de Chalkis, 36 mn plus au sud, alors que se déroule l’impensable sur la promenade des Anglais, à Nice. On annonce le lendemain à la radio plus de 80 morts et au moins 200 blessés! Nous sommes choqués et troublés, voire estomaqués par ces événements!

Quoi qu’il en soit, le passage du pont de Chalkis restera toutefois un moment fort de notre campagne 2016. Après avoir jeté l’ancre dans le chenal à environ 500 m au nord du pont, ce 14 juillet après-midi, je me présente aux bureaux de la police portuaire pour nous enregistrer, payer notre droit de passage (environ 20 euros) et recevoir les instructions d’usage. Il convient de mentionner que le courant est très fort sous le pont de Chalkis et peut atteindre 7 nœuds au plus fort de la marée, en raison de l’étroitesse du chenal. De plus, il est réputé s’inverser à deux reprises dans la journée. Pour cette raison et dû aussi à l’achalandage exceptionnel du pont, son ouverture n’a lieu qu’une fois par jour, à l’étal, pour minimiser le courant.

De retour au bateau, une agréable surprise nous attend. Un voilier sous drapeau canadien vient tout juste de jeter l’ancre près de nous. Il s’agit de Carolyn et David, des résidents d’Ottawa sur s/y Coral. En échangeant quelques propos, nous apprenons qu’ils sont voisins du couple qui occupe, en notre absence, notre condo à Mont-Tremblant. Le monde est vraiment petit!

Photo 5 - Joli bord de mer tout au fond de la baie de Karistos. Le calme est revenu!

Joli bord de mer tout au fond de la baie de Karistos. Le calme est revenu!

Conformément aux instructions reçues, nous ouvrons notre VHF à 22 h 30 et attendons patiemment les instructions de la police portuaire. Nous tombons bien puisque c’est jour de fête à Chalkis et nous sommes aux premières loges! Musique, parade, animations diverses et feux d’artifice au-dessus de nos têtes animent la soirée et nous font vite oublier l’attente.

À 2 h 30, alors que la petite ville est toujours bien animée, nous sommes interpellés par la police portuaire.

« Dance Me, Dance Me, Dance Me, this is bridge authorities… Please start your engine, raise your anchor and wait for further instructions! »

« Message bien reçu! »

Voilà, c’est parti mon kiki! Mais nous devrons en premier lieu laisser passer l’armada de bateaux transitant du sud au nord. Une fois ce convoi passé, tous les navires en attente du coté nord reçoivent l’instruction de laisser passer en priorité un vraquier apparu au dernier moment. Puis vient notre tour :

« Dance Me, Dance Me, this is bridge authorities, you can now proceed behind s/y Jeremy keeping a safe distance! »

« Bridge authorities, this is Dance Me, we are proceeding accordingly, thank you for your kind assistance! »

Nous voici donc au beau milieu de l’enfilade de navires, applaudis par les centaines de fêtards accoudés en surplomb aux rampes, de part et d’autre de cet étroit passage. À un certain moment, on entend Ô Canada! au beau milieu de la foule animée!!! Nous envoyons la main aveuglément et poursuivons notre passage.

Une fois du côté sud, le chenal s’ouvre sur une grande baie peu profonde. Nous en profitons pour jeter l’ancre, bien à l’écart du chenal et nous coucher sans tarder, sachant que la journée du lendemain s’avérera tout aussi longue. L’autre voilier canadien, Coral, fait de même. Nous nous endormons sur une autre magnifique expérience qui saura occuper nos pensées et nos conversations au cours des jours suivants.

Le lendemain, Coral s’arrête nous saluer au passage et nous enchaînons une heure plus tard derrière eux avec l’espoir peut-être de les revoir. Ce ne sera pas le cas puisqu’ils auront su maintenir leur avance sur nous, en route pour Lavrion.

Photo 3 - Ces bateaux font la fierte des pecheurs de Karistos.

Ces bateaux font la fierté des pêcheurs de Karistos.

La météo a repris un peu de « coffre » pour nous permettre enfin de poursuivre sous voiles. Nous nous arrêterons à Eratria pour le lunch et poursuivrons vers Boufalo, une baie magnifique bien à l’abri de l’île d’Eubée. Il s’agit d’une toute petite enclave avec quelques maisons et deux tavernas. Ici, le calme et la douceur de vivre règnent en maîtres. À l’approche de la baie, nous sommes rejoints par un grand dauphin solitaire qui prend notre étrave comme objet de distraction. Il restera avec nous jusqu’à notre entrée dans la baie.

Nous poursuivons toujours notre descente entre l’île d’Eubée et le continent, cette fois dans le golfe de Notios pour relier Nea Marmari. Le meltemi s’installe progressivement et nous procure deux belles journées de navigation. En peu de temps, toutefois, les conditions météo se détériorent. C’est que le meltemi est maintenant propulsé par une forte dépression, juste à l’est.

Nous devrons attendre deux jours à l’ancre en face de Nea Marmari avant de tenter notre chance le 20 juillet. Cette décision s’avère une erreur puisque, même au portant, les rafales de vent poussent Dance Me dans tous les sens alors que nous devons négocier un corridor long de 3 mn et étroit de 50 mètres. Pas de place à l’erreur! Soulevée par des rafales accompagnées de trombes d’eau de 50 m de hauteur et plus, l’annexe est d’abord renversée, puis carrément projetée sur le bimini avec vigueur. Toute notre attention est portée au pilotage face aux fortes rafales qui nous viennent maintenant de côté et qui ont tendance à nous dévier de notre route. Nous filons à 9 nœuds sans voile et au moteur à 1200 tours pour nous conserver manœuvrants!

Les conditions continuent à se détériorer, le vent apparent atteint maintenant 35 nœuds avec des rafales à 45! À la sortie du golfe, nous décidons de nous mettre à l’abri dans le golfe de Karistos où déjà plusieurs navires sont ancrés dans l’attente d’une meilleure fenêtre météo. Dans cette baie, le vent est accéléré par l’effet d’un venturi créé par le relief. C’est ainsi que nous sommes maintenant confrontés à un vent de face de 50 nœuds et plus avec des vagues de 3 à 4 mètres. Le moteur est poussé au maximum, soit 3600 tr/min pour ne maintenir que 2,5 à 3 nœuds. Soudainement, l’alarme de surchauffe retentit alors que nous ne sommes qu’à 1 mn de notre destination tout au fond de la baie.

Photo 4 - Bourtsi une tour venitienne construite au XIIIe siecle accueille expositions et vernissages d artistes locaux.

Bourtsi, une tour vénitienne construite au XIIIe siècle, accueille expositions et vernissages d’artistes locaux.

Sans tarder, nous mettons le moteur au neutre et déployons un coin du génois afin de rester manœuvrants. Nous perdons du coup tout le trajet réalisé de peine et de misère. Rapidement, nous repérons une petite baie et décidons d’y tenter notre chance. Nous réussirons l’approche et y jetterons l’ancre avec succès. Par contre, même à l’abri dans cette baie plutôt étroite, les vents atteignent 45 nœuds et rendent le mouillage inconfortable et dangereux.

Biens décidés à ne pas passer la nuit dans ce mouillage, nous patientons jusqu’en fin de journée et profitons d’une relative accalmie vers 18 h pour reprendre la route vers le fond de la baie de Karistos et y jeter l’ancre, cette fois bien à l’abri et en toute sécurité! Nous nous repositionnerons à quai le lendemain pour attendre le retour de meilleures conditions de navigation. Entre-temps, nous profitons de notre séjour « forcé » pour visiter cette jolie petite ville référencée dans l’Iliade d’Homère. Vue du large, Karistos s’étend comme une nappe blanche au pied de l’imposant mont Ochi, haut de 1400 mètres. Nous mangerons au très renommé restaurant Cavo d’Oro, meilleur resto selon le guide Lonely Planet et y serons servis par le sympathique propriétaire lui-même!

Avec 230 mn à parcourir pour relier Kardamena sur l’île de Kos et rejoindre Geoffroy et Marie-Ève, nous demeurons à l’affût d’une fenêtre météo favorable. Nous souhaitons repartir le plus tôt possible afin de poursuivre notre aventure et de conserver dans la mesure du possible notre avance, question de nous prémunir des aléas de Dame nature qui pourraient encore une fois se mettre en travers de notre programme… La suite s’avérera tout aussi sportive, sans toutefois devoir affronter la « Tempête ». À suivre dans le prochain numéro de Québec Yachting.

Hilda et Jacques sur Dance Me

Hilda et Jacques naviguent en Méditerranée depuis 2005. Pour tout commentaire ou toute information supplémentaire, n’hésitez pas à leur écrire un courriel à j.chalifour@chalifourcom.com.

Voici le parcours de navigation que nous avons effectué en 2016 sur la mer Égée.

Voici le parcours de navigation que nous avons effectué en 2016 sur la mer Égée.

 Quelques conseils pour vous préparer au mauvais temps 

  1. La toute première règle consiste à suivre la météo quotidiennement! Les prévisions météo ont gagné beaucoup en précision ces dernières années. Au-delà de 48 heures, toutefois, les conditions peuvent changer considérablement, d’où l’importance de suivre les prévisions de près.
  2. Il faut également prendre en considération que de Beaufort 4 à Beaufort 6, il y a un monde de différences et qu’entre 6 et 8, l’effet ressenti du vent est au moins le double sinon plus.
  3. Sachant que vous serez potentiellement exposé à de telles conditions, il importe de bien vous préparer et d’examiner de près votre plan de navigation si vous choisissez de partir ou de vous mettre proprement à l’abri si vous restez.
  4. Dans tous les cas, il importe de bien fixer tout ce qui peut bouger et d’affaler le bimini pour éliminer sa portance. L’annexe devrait être montée sur le pont et fixée solidement.
  5. Toutes les écoutilles doivent être fermées et l’intérieur rangé pour minimiser les déplacements d’articles lourds ou fragiles.
  6. Au mouillage, vérifiez la tenue de l’ancre et soulagez le guindeau en installant deux amarres de part et d’autre aux taquets avant.
  7. Assurez-vous que ces amarres seront facilement récupérées advenant la nécessité de devoir relever l’ancre pour vous repositionner.
  8. Une seconde ancre peut s’avérer utile, mais elle peut aussi constituer un encombrement advenant que le bateau chasse, car il faudra relever les deux ancres en espérant qu’elles ne se soient pas entremêlées.
  9. Bien fixer le génois sur l’enrouleur et la grande voile dans le lazy jack, le cas échéant, en s’assurant de fixer la fermeture éclair au mât pour éviter qu’elle ne s’ouvre sous l’effet du vent.
  10. Armez l’alarme de dérive : vous vous sentirez plus en sécurité.
  11. Et n’hésitez pas à instaurer une vigie.
  12. Si par ailleurs vous choisissez de quitter, examinez bien votre plan de navigation pour identifier les endroits tels les caps, les falaises et les corridors propices aux venturis, où les conditions risquent de se détériorer davantage.
  13. Identifiez à l’avance les endroits tout au long de votre parcours qui pourraient constituer des mouillages d’urgence pour vous mettre à l’abri. De même, identifiez les obstacles que vous aurez plus de difficulté à identifier à l’approche.
  14. Assurez-vous que les harnais et vestes de sécurité sont facilement accessibles et portés en tout temps lors de votre passage.
  15. La VHF devrait demeurer aussi facilement accessible en mode écoute sur 16 et le radeau de survie déverrouillé et prêt à être déployé.
  16. Faites bonne provision de bouteilles d’eau dans le cockpit et d’aliments faciles à consommer pour éviter de devoir laisser le barreur seul. Vous serez rapidement déshydraté sous l’effet du vent et vous aurez intérêt à consommer modérément pour toujours avoir quelque chose dans l’estomac sans avoir à descendre dans le carré régulièrement.

 

Pour en savoir davantage, voici quelques sites Web à consulter :

Par Jacques Chalifour
Photos : Par Hilda Luyt

*Cet article a été publié dans le magazine Hiver 2017 de Québec Yachting.