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LA RETRAITE À VOILE LA RETRAITE À VOILE PAR MICHEL BRASSARD AVEC LA COLLABORATION DE MONIQUE REEVES
PAR MICHEL BRASSARD
AVEC LA COLLABORATION DE MONIQUE REEVES
N
’allez pas croire que c’est seulement dans les mouillages de rêve que la nature nous offre des spectacles époustouflants. En mer, on fait souvent de belles rencontres qui meublent notre mémoire à jamais!
Une rencontre d’après-midi
C’est l’après-midi. Nous sommes dix mille marins sous le vent de l’île Margarita et la brise est douce. Même un peu trop douce à mon goût, comme c’est souvent le cas dans ces eaux proches du continent. Allez, on lance le spi. Vingt minutes de labeur et de sueurs, mais quel plaisir de glisser doucement sur une mer calme derrière ce ballon multicolore. Soudain! Michel, as-tu vu? Là, une baleine vient de souffler un geyser! Ah! oui, je viens de voir un autre souffle! Elle s’en va dans l’autre sens et passe à cent mètres sur bâbord.
Pffft! Cette fois à deux mètres de nous, toujours sur bâbord. Hein! Une autre sur tribord! Elle est juste là à coté de nous! Elle glisse doucement et nage sans aucun effort à un mètre de nous, d’un côté et de l’autre, passant sous la quille. Elle accélère et passe devant pour s’installer à moins d’un mètre de l’étrave. Le vent mollit, elle nous distance. Pfftt! Elle est revenue à côté. Et ce sera ainsi durant quelques heures. Quand nous ralentissons, elle revient patiemment nous encourager. Elle fait bien dix mètres, la bête. Facile à évaluer, car elle nage à côté et le voilier
fait treize mètres cinquante. Tout doucement, elle nous accompagne pour ne pas être seule. Nos appréhensions du début nous paraissent ridicules maintenant. Elle est comme un gros toutou qui fait sa marche à côté de nous en se balançant la queue.
Finalement, le vent tombe complètement et je dois aller rentrer le spi. Re-labeurs, sueurs, rangement, satisfaction. Je démarre le Yanmar. Plus de compagne. « Ah non! Vous trichez là! », il me semble l’entendre dire. Et elle s’en va, dégoûtée des humains.
Plus tard j’ai réalisé que c’était probablement la carène blanche qui l’avait mise en confiance. Une idée comme ça de peindre à l’antifouling blanc. Malheureusement, depuis que l’étain n’est plus utilisé, on ne trouve pas beaucoup d’antifouling blanc. Et plus jamais une baleine n’est venue faire route avec nous. Mais c’est une expérience que je ne suis pas près d’oublier.
Une rencontre de nuit
Nous sommes mouillés à La Blanquilla depuis deux jours quand un ouragan tarde à faire la route qu’on lui avait prévue et se dirige trop près de notre île. Nous levons l’ancre et quittons en fin d’après-midi ce mouillage paradisiaque, direction Robledal pour contourner Margarita par l’ouest. Par vent de travers, nous filons assez bien vers la perle des îles vénézuéliennes.
(Margarita signifie « perle » et on y trouve plein d’huîtres). Vers minuit, nous contournons Punta Arenas à l’extrême sud-ouest de Margarita pour débuter la remontée du canal de Margarita.
Une demi-lune s’est levée, le vent est masqué par l’île et le courant se presse d’aller en sens contraire. Ce sera lent et long. Un bruit de respiration et des remous. Ce sont des dauphins! La nuit, c’est plus rare, mais ils sont attirés par nos feux de navigation et nous font des joies comme si on se retrouvait. Je leur parle, les encourage à sauter. Ils viennent tout près et semblent sourire. Ils vont vers l’étrave et reviennent me voir au cockpit. Toute la nuit, ils nous accompagnent et on jase. À la radio, on nous avertit de l’approche de l’ouragan. Alors, je cherche un trou où nous cacher.
Cubagua est à tribord, mais n’offre pas une grande protection. Nous pourrions aller sur bâbord mouiller devant Chacachacare au fond de la baie de Mangle. C’est normalement un bon mouillage, mais pour un ouragan, j’ai des doutes. Au sud de l’île de Coche, il y a un véritable marigot, El Saco. C’est peu profond mais très bien protégé de tous côtés. C’est l’occasion de découvrir un autre mouillage. Allons-y!
À l’aube, nous entrons dans la baie avec un œil sur les dauphins et l’autre sur le profondimètre. Nous frôlons le fond vaseux, mais ça passe. Oui,
ils sont toujours avec nous, ces compagnons fidèles. Sans souci, ils batifolent devant, tout heureux de voir le soleil se lever. Je mouille avec mille précautions et quelques centimètres d’eau sous la quille. Les amis dauphins font des sauts, éclaboussent, viennent nous saluer et s’en vont… Finalement, l’ouragan ne s’est pas montré et on a dormi tout l’avant-midi.
Une rencontre de lunes
Encore entre La Blanquilla et Margarita le vent est faible et nous sommes sous pleine toile, presque sans gîte. Ce sera un peu long mais très confortable. On traîne deux lignes sans grands espoirs, mes leurres ne fonctionnent bien que quand on file à plus de sept nœuds. Tout à coup une bizarre de tache sur la mer devant. Je n’arrive pas à identifier ce que c’est. À cinquante mètres, ce sont deux poissons en surface. Eh bien! Je m’attendais à des tortues, mais pas à des poissons. On passe tout juste à côté. Du jamais vu. Je cours chercher le manuel du plongeur pour les identifier. Ce sont de gros disques pas très épais. On dirait la tête d’un poisson géant.
Ce sont deux poissons-lunes. Des môles ou mola mola. Des poissons géants qui pèsent facilement mille kilos (une tonne). On connaît peu de choses de ces poissons-lunes, sauf qu’ils mangent des méduses, et en quantité! Ils sont comestibles, mais peu pêchés. S’ils bouffent les méduses, nous sommes du même bord! Ils ne ressemblent à rien d’autre. Vraiment, ils sont intrigants à voir!
Une rencontre géante
Il fait nuit, sans lune et le ciel couvert. Toutes les lumières de Sint-Maarten scintillent sur fond d’encre noire. Nous avons quitté Simson Baai et faisons voile, cap au sud, direction la Guadeloupe. Nous longeons la côte ouest de l’île de Saint-Martin, du côté hollandais, vous aurez deviné.
Il y a de la circulation sur l’eau ce soir, il faut être vigilant. Pas facile de s’y retrouver côté terre avec tout ce qui brille. Je distingue les feux de navigation d’un navire qui viennent de s’allumer. Il est au mouillage entre la côte et nous. C’est un paquebot. Un très gros paquebot. Il bouge, il vient de lever l’ancre et je vois maintenant son vert en plus de son rouge. Il se dirige vers nous, petit rien, aux feux de navigation bien faibles à côté de cette boule de lumière. Il prend de la vitesse et fonce toujours droit sur nous.
Pas trop désinvolte, je l’admets, je cours chercher la lampe spot d’un demi-million de chandelles. Deux éclats en visant la passerelle.
Et j’attends, fesses serrées. Deux éclats me reviennent de la passerelle. Ouf! Je relaxe. Il vire un peu plus sur son bâbord et passe à moins d’un quart de mille devant nous.
Mais attends! Je le reconnais... C’est le
France . Jumelles, Norway écrit en grosses lettres. C’est bien le France . Impressionnant, même s’il a de l’âge ce paquebot! Ceux d’aujourd’hui n’ont pas cette fière allure.
Il n’est plus que souvenirs et photos, ce géant des mers. Il gardera à jamais une bonne place dans ma mémoire. Et merci capitaine!
Une rencontre incandescente
Encore la nuit noire, mais en direction opposée. Cette fois, cap au nord direction Marigot, Saint-Martin. Comme on nous l’a recommandé, notre route nous amène à passer dix milles au vent de Montserrat. Conditions de voile typiquement antillaises, il fait beau, l’alizé est notre carburant, la mer fait un mètre cinquante, l’allure est un largue. Tranquillets, nous admirons la nuit.
Sur bâbord, quelque chose attire mon attention. Oh! Le volcan crache sur Montserrat! Une immense giclée vermillon retombe et dévale les flancs de la montagne en s’assombrissant légèrement. Un rideau de vapeur termine la descente quand l’incandescence disparaît sous la mer. Quel spectacle! Trente secondes plus tard, ça recommence. Mais la lueur rouge descend la montagne plus vite même que les Crazy Canuks! (surnom des descendeurs canadiens des années soixante-dix). On dirait une mise en scène signée Lepage.
Heureusement, il n’y avait pas trop de circulation sur la mer cette nuit-là. Notre guet n’étant pas exemplaire… L’explication de ce phénomène : ce n’était pas de la lave, mais une nuée ardente que crachait la Soufrière de Montserrat. Une nuée ardente est composée de gaz et de cendres. Le spectacle n’en est que plus impressionnant!
Une non-rencontre
Cette fois, il faisait un temps affreux. Coup de vent, force 8 et plus (35 à 45 nœuds) par nuit orageuse et mer forte. Évidemment!
J’étais à un toron de casser au sertissage du mât. Je le sais, mais je ne pouvais pas le faire remplacer où nous étions. Il pourrait céder maintenant ou dans un an. J’ai frappé deux drisses aux cadènes de hale bas de tangon, au cas où.
Nous sommes entre Trinidad et Grenade, en route depuis Puerto La Cruz vers les Antilles. Déjà quarante-huit heures de navigation par un temps à ne pas mettre un chien dehors. Les voiles sont réduites avec deux ris dans la grand’voile et j’ai déroulé un petit bout de génois. L’étrave s’élève et retombe dans un fracas d’embruns qui nous aspergent toutes les minutes. Le courant est très fort et nous déporte vers l’ouest. Alors nous sommes au près serré et quand nous percute une lame, le bateau s’arrête, dérive et repart lentement. Rien de très réjouissant.
Tout à coup, à la VHF, un Mayday! Merde! Le garde-côte de Grenade répond avant moi. Le skipper précise sa position et il lui faut la répéter plusieurs fois avant que les garde-côtes (et moi) comprennent. Il est loin de nous, plus près de Grenade que de Trinidad et plusieurs milles à notre vent.
Il donne alors des précisions sur sa situation de détresse. Il convoyait un catamaran des Antilles vers Trinidad. Dans la mer forte, l’ancre a quitté le davier, a percuté une coque et l’a perforée. Cette coque se remplit, elle est presque pleine et la mer ensuite remplira l’autre coque. Le bateau est maintenant trop lourd pour faire voile et les moteurs seront bientôt tous deux sous l’eau.
« Demandez-vous qu’on aille vous chercher? » Le gars hésite… « C’est un catamaran… » (donc il ne devrait pas caler). « Mais, oui SVP. Venez, je vais abandonner le yacht » (sage décision) « Bien reçu ». L’équipe de Grenade est déjà en route vers un autre appel. « Nous vous envoyons le pneumatique de Carriacou. Ce sera un peu long, mais donnez-nous votre position assez souvent, tant que vous le pourrez. »
Bon, je connais l’embarcation des garde-côtes. C’est un grand pneumatique noir avec deux gros moteurs. Ils ont un radar et de multiples radios. Un pneumatique peut s’approcher d’un bateau sans risque. Remonter une personne à bord est aussi plus facile, même par pareille mer. Je suis à voile et peine à avancer. J’y serais allé, bien certain! Si les garde-côtes n’avaient pas répondu, mais ils seront sur place, bien avant moi.
Cette fois, ce sera une non-rencontre que j’apprécierai. J’ai suivi le sauvetage à la VHF et tout s’est bien terminé longtemps avant que je sois près d’eux. Une non-rencontre que je ne suis pas près d’oublier. Psst! Fixez l’ancre solidement au davier avant une traversée…
Rencontres en mer
Monique Reeves et Québec Yachting.
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