Québec Yachting

Fountaine Pajot Hélia 44 – Fragments de soleil sous voiles

Ça doit être un fantasme. Celui de transporter sur la mer une image de plusieurs morceaux de bonheur rassemblés au même endroit et de s’y abandonner au rythme du vent qui pousse là-bas, ailleurs, quelque part… Le dernier Fountaine Pajot se moule assez bien dans ce désir. Avec son nom de fragment de soleil, le successeur de l’Orana 44 ne comble pas vraiment une attente. Il ajoute un couvert au banquet des heureux élus de la croisière contemplative.

Le chantier a les épaules pour soutenir une telle gageure. Avec déjà un plateau de plus de 2000 catamarans construits, il peut désormais s’attacher à ciseler les détails qui font la différence. Cette fois, c’est la conjugaison intérieur/extérieur qui a inspiré l’architecte. Avec une nette préférence pour les visions du haut, zénithal, dans le vocabulaire maison. Ce qui donne le bonheur insolite d’observer les jeux de la grand-voile au milieu des nuages depuis le carré ou le cockpit, privilège absolument interdit sur la plupart des unités en balade sur nos eaux.

Et rien ne vient gêner aux entournures : 50 m2 de cockpit peuvent accueillir dix convives à table et probablement deux fois plus debout au buffet à l’escale, en communication directe avec le décor que le navigateur aura choisi. Et en liaison non moins limpide avec la cuisine ou le bain de soleil. Les ouvertures sont tellement larges qu’on finit par ne plus vraiment distinguer le paysage de l’endroit où l’on se trouve. La lumière balaie tout l’espace, comme le vent circule à la demande, selon qu’on décide de s’en abriter ou de le convier à la fête. Les vitrages aux nouveaux dessins, rappelant parfois l’œil stylisé d’Osiris, découpent des amandes de soleil au milieu des ombres rares. Même le poste de barre, pourtant très bien protégé, dévoile une exceptionnelle visibilité tout en permettant d’y accueillir trois personnes.

C’est de là que tout se voit, mais aussi que tout se commande : la totalité des cordages, hale-bas, drisses et écoutes comprises, y sont centralisés. Laissant l’immensité des autres lounge decks, plateformes et plages de bain, vierges de toute tracasserie manœuvrière. Autre source d’étonnement : les différents ponts communiquent entre eux mais se dérobent à la vue d’ensemble, très rare sur un bateau de taille finalement assez modeste et offrant le privilège de faire vivre côte à côte des passagers qui peuvent se croiser venant d’ailleurs…

Proximité à distance

Naturellement, ce joli monde renouera avec la collégialité dans le carré-salon aux larges canapés, non loin d’une cuisine où le chef du Saint Amour trouverait la place de ficeler sa gigue de cerf rouge sans problème, entouré si nécessaire (en option) d’un lave-vaisselle et d’un congélateur, ce qui donne une idée de la puissance disponible pour ce lieu hautement stratégique. Les rangements foisonnent jusque sous le plancher (ou l’on retrouve les inévitables anneaux de manipulation, si jolis à regarder, mais véritables nids à miettes, cauchemar du nettoyeur de quart…).

En se dirigeant vers des lieux plus intimes, on passe devant une belle table à carte, dans le sens de la navigation (encore heureux) et on doit choisir : tribord ou bâbord? Choisir de vivre d’un côté ou de l’autre, comme à bord de deux bateaux naviguant de conserve, ou à couple, mais sans se déranger le moins du monde, simplement séparés par des coursives un peu mystérieuses, quoique bien éclairées. Sur le Hélia 44, cette fraternité distante est encore mieux servie par un agencement proche de la perfection.  Quelle que soit la version, quatre ou trois cabines (la première avec quatre WC distincts), le choix des essences de bois, du plancher au vaigrage sur feutre de verre, la distribution des penderies, l’organisation de la circulation et jusqu’au sens de l’ouverture des portes : tout concourt à l’harmonie. Avec ce plus qu’on ne trouve pas même dans la plus luxueuse des suites d’hôtel : la lumière vient aussi du plafond!

Ce catamaran parfaitement abouti doit néanmoins payer un léger tribut à la richesse de son patrimoine : des lignes très tendues, surtout en verticale, éloignant les courbes gracieuses familières du regard des marins mais délicates à conjuguer avec l’ergonomie moderne. La sensation de l’équerre vient parfois troubler la rondeur de l’héritage des bateaux d’hier. Sans pour autant l’étouffer.

Le comportement à la mer du Hélia 44 vient heureusement distraire l’impression, montrant une jolie vivacité dans la brise pour peu qu’on n’hésite pas à lui donner de la toile. Sur le papier, la grand-voile de 70 m2 associée au génois de 45 m2 peut paraître modeste pour ébranler un déplacement de 11 tonnes à lège, plus certainement 13 tonnes à équipage plein, mais le papier est menteur : l’Hélia 44 est assez véloce pour se montrer presque gracieux sous spi asymétrique et s’il lui faut une main précise pour exécuter un virement dans les petits airs, sa réponse à la barre est étonnante.

Les vertueux seront heureux d’apprendre que l’énergie à bord est en partie assurée par une batterie de panneaux solaires installés sur le roof, tandis qu’une éolienne a son emplacement réservé, de même que celui d’un hydrogénérateur. Les pointilleux feront chorus en découvrant les deux bossoirs arrière ainsi que les coupées d’accès aux jupes. Les dames au caractère mélancolique et solitaire verront d’un œil intéressé les sièges suédois dans le balcon avant. Pour finir, ce sont les inconditionnels de la belle mécanique qui apprendront en souriant que les deux safrans sont reliés mécaniquement par bras de mèche et tube transversal et non par une tringlerie sophistiquée pour épater la galerie et épuiser le bricoleur…

Le Hélia 44 sait proposer l’esthétique comme la robustesse. Solides garants de son probable succès.

Fiche technique

Longueur hors tout : 13,30 m / 43 pi 6 po
Largeur : 7,40 m / 24 pi 3 po
Tirant d’eau : 1,20 m / 3 pi 10 po
Déplacement lège : 10,8 tonnes
Surface grand-voile : 70 m2/ 753,5 pi2
Surface génois : 45 m2/ 484,4 pi2
Surface au portant : 156 m2/ 1679,2 pi2
Réservoir d’eau : 2 x 375 litres / 2 x 99 gal US
Réservoir d’essence : 470 litres / 124,16 gal US
Motorisation : 2 x 40 ch diesel Volvo Penta
Prix : Voir le concessionnaire

Par Thierry d’Entrayigues

* Essai provenant de la parution Essais 2013 du magazine Québec Yachting.