Québec Yachting

Jeanneau Sun Odyssey 509 – L’arrogance des grands

nivo slider image nivo slider image nivo slider image

Si on a toujours besoin d’un plus petit que soi, on n’en a pas moins toujours envie d’un plus grand. C’est humain. Forte du succès mérité du 409 (voir notre essai, édition du Vol. 34, No 2, Québec Yachting, Essais 2011), la gamme Sun Odyssey a voulu se doter d’un navire amiral. Les couleurs ont été hissées juste à temps pour les salons d’automne.

Le 509 exprime bien, à lui seul, le sulfureux parfum qui enveloppe le marché nautique, où la crise semble ignorer une caste privilégiée de propriétaires méprisant la morosité ambiante. Il y a une quarantaine d’années, lorsqu’on évoquait un bateau de dix mètres, le ton de la voix était marqué de respect teinté de convoitise. Aujourd’hui, la barre est à 15 mètres, le seuil des 50 pieds indiquant la frontière entre le bateau de Monsieur Tout-le-Monde et l’autre. L’autre, c’est le 509. On devine, même à le voir sagement bridé à son ponton, que l’architecte a enfin pu se faire plaisir, qu’il a été autorisé à s’affranchir des carcans imposés par la dure loi des carènes intermédiaires, qu’il a résolument jeté aux orties le crayon sous tutelle et que l’amplitude de son geste créateur a été libérée. Les élancements s’imposent au regard. Le mât, d’abord. Fière et haute perche de presque 22 m montrant sans ambages son ambition de porter jusqu’à 134 m2 de toile au près, dans la version « Performance Plus ». Le tout solidement contrôlé par un dormant en monotoron discontinu inox 1/19, repris en pointe par l’étai enrouleur à double gorge. La robustesse alliée à l’élégance. La carène elle-même ensuite. C’est merveilleux de caresser de l’œil cette tonture à peine contrainte soulignant d’une parfaite virgule la ligne courant de l’étrave à la jupe. La répartition des hublots, sagement rectangulaires, le long des lisses semble avoir été dictée par la règle du nombre d’or.

Une immense marge de puissance

Un pied dans le cockpit suffit à faire comprendre en quoi quelques pieds supplémentaires peuvent bouleverser la distribution des atouts soudain réunis en une seule main. C’est comme monter un cheval de course auquel on ne demande que d’avaler au petit trop une piste cendrée : tout est dans la marge de manœuvre qu’on sent disponible. Ici, tout est vaste, aéré, limpide. La circulation entre la grande table ceinturée d’abattants, les doubles barres à roues inox gainées de cuir et les bancs lattés de bois massif jusqu’à la jupe se fait aussi facilement que sur la dunette d’une goélette. Les deux winches Harken 60 ST flanqués à l’arrière rappellent que le barreur fait aussi office d’équipage à lui tout seul, laissant l’esprit de ses hôtes vagabonder en paix. Ceux d’entre eux qui voudraient participer aux réglages peuvent toujours ajuster tensions et courbures avec les deux winches Harken 46.2ST de part et d’autre de la descente, sur le roof. La commande moteur, associée au poste de timonerie tribord, rassurera ceux que l’impressionnant déplacement (14 tonnes lège) pourrait inquiéter : le 360 Docking avec pod 120, propulseur d’étrave 8,5 kW et joystick permet d’envisager les manoeuvres de port avec une sérénité de collégien.

Enfin, un simple coup d’œil à l’immense jupe arrière dissimulant de profonds coffres lattés et prolongée d’une plateforme de bain basculante achèvera de promettre le rêve associé à l’escale. Ajoutons qu’une prise d’eau douce de quai avec régulateur de pression permet de connecter le circuit directement à la plomberie, évitant de puiser dans les réservoirs au port. Très judicieux.

C’est en allant s’enfoncer dans une autre promesse et en accédant au carré salon que cette belle unité affiche sa volonté de parrainer le confort et l’élégance. Sur bâbord, six personnes peuvent admirer le large sans entrave à travers les hublots jetés pas une divinité complaisante à hauteur des yeux. Le bar central, loin de contrarier la circulation, laisse passer ceux qui préféreraient guigner le grand sofa à deux assises, lui aussi inondé de lumières jaillies tout autant du plafond que de la coque. La cuisine en T (dans notre version à trois cabines) n’a rien à envier à personne. Elle permet de travailler à deux sans jouer des coudes et dispose d’un réfrigérateur de 175 litres, d’une glacière de 80 litres et, surtout, d’un déssalinisateur débitant 60 litres/heure. Largement assez pour alimenter le lave-vaisselle 220 V si on choisit de le préférer à l’armoire à vins, les deux étant incompatibles. Le préposé à la lessive du bord ouvrira des yeux comblés en s’apercevant que l’architecte a pensé à loger un lave-linge séchant (!) 220 V. Le bonheur domestique assuré, il n’y a plus que quelques pas à faire pour se convaincre que le sanctuaire, le saint du saint, la cabine propriétaire en un mot, réserve à son tour de divines surprises.

Sur le 509, en rupture avec une longue tradition qui la place à l’arrière, où l’on dort mieux en mer, ce qui devient anecdotique de nos jours, la cabine du maître de céans occupe tout le tiers avant du volume intérieur. Et il faut bien ça pour accueillir, avec 1,86 m sous barrots, un lit double monté sur sommier à lattes portant un matelas en mousse haute densité. Lequel lit, pertinemment haut perché, dissimule de profonds coffres, s’adjoint deux liseuses éclairées d’ampoules à DEL (il y en a même sous le lit pour l’ambiance…) et bénéficie de trois hublots de pont pour l’inonder de soleil ou distraire l’assoupi par le passage des altostratus. On croit rêver. Mais ce n’est pas fini. Presque aussi large (56 cm) que la porte d’entrée, celle de la salle de bain ouvre sur un espace privé où la douche n’a pas l’air d’être invitée, où le WC électrique ne déplairait pas au roi Dagobert et où la vasque permet enfin de se laver les deux mains en même temps… L’ensemble, des penderies au bureau secrétaire-coiffeuse jusqu’au plancher stratifié, luisant de l’aspect clair du chêne choisi pour accompagner les capitons en PVC façon cuir. Aucun risque de voir l’humidité gâter l’harmonie : toutes les cabines et salles de toilettes sont reliées au chauffage Eberspacher à circulation d’eau 12000 W.

Ce 509 est un petit royaume transportable à la frontière de tous les rêves, doté de la splendide arrogance des plus beaux monocoques qu’on puisse trouver aujourd’hui à ce prix de bijou en série.

Fiche technique

Architecte/Designer : Philippe Briand
Constructeur : Jeanneau
Longueur hors tout : 15,38 m / 50 pi 5 po
Longueur de la coque : 14,98 m / 49 pi 1 po
Maître bau : 4,69 m / 15 pi 4 po
Déplacement lège : 13 900 kg / 30 644 lb
Tirant d’eau lest standard : 2,28 m / 7 pi 5 po
Tirant d’eau lest PTE : 1,73 m / 5 pi 8 po
Capacité eau : 615 litres / 162 US gal
Surface de voilure standard au près : 114 m2/ 1227 pi2  (104 m2/ 1119.48 pi2  en foc autovireur)
Cabines : 3, 4 ou 5 (suivant la version)
Motorisation : 75 ch, quatre cylindres Yanmar 4JH4-TCE self drive
Réservoir d’eaux noires : 80 litres / 21 US gal

Thierry Montoriol

* Essai provenant de la parution Hiver 2013 du magazine Québec Yachting.