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Martinique : Saint-Pierre restera marquée à jamais par l’éruption de la montagne Pelée

Voiliers ancrés dans la rade de Saint-Pierre et la montagne Pelée en arrière-plan.

Voiliers ancrés dans la rade de Saint-Pierre et la montagne Pelée en arrière-plan.

Depuis longtemps, je rêvais de voir cette ville mythique. Nous y voilà. Après quelques heures à voile depuis Fort-de-France, nous sommes au mouillage à quelques encablures du marché public.

Dès le premier coup d’œil, Saint-Pierre dégage une atmosphère dramatique avec la montagne Pelée qui la surplombe et la domine, imposante et maléfique. Cette commune, chargée d’une histoire à faire frémir, a cessé d’être la métropole des Antilles il y a 113 ans. Plus précisément le 8 mai 1902, à 7 h 52, jour de l’Ascension, Saint-Pierre, joyau de la Martinique, fut totalement détruite dans un fracas indescriptible.

Surnommée le « Paris des Antilles », la cité aux centaines de fontaines et aux toits d’ardoise fut anéantie en quelques secondes par une nuée ardente venant de la montagne Pelée.

Cette violente éruption paroxysmale dégageait l’équivalent de la puissance de 10 bombes atomiques, comme celle qui a détruit Hiroshima. Ce sont quelque 30 000 Pierrotins qui sont morts sur le coup et la ville fut alors rayée de la carte.

Avec une vitesse de 700 km/h, la nuée ardente et les cendres s’abattirent sur eux, les étouffant et les momifiant. Avertis par des grondements incessants, une odeur de soufre qui se dégageait du volcan et surtout par la coulée de lave qui avait détruit la rhumerie Guérin le matin du 5 mai, faisant ses 25 premières victimes, quelques habitants se sont réfugiés sur la plage. Ils furent hélas brûlés en se jetant dans la mer bouillonnante. Cependant, certains n’ont pas écouté le gouverneur Mouttet de Fort-de-France, venu sur place avec son épouse la veille pour les rassurer et les inciter à rester dans la ville pour des élections qui devaient avoir lieu. Grâce à leur désobéissance, ils s’en sont sortis vivants.

Les 40 bateaux commerciaux amarrés dans la rade ont coulé après avoir été brûlés et écrasés sous le poids de l’épaisse cendre qui s’abattait sur eux. Le Diamant, le bateau-passeur entre Fort-de-France et Saint-Pierre, embarqua une foule hystérique, mais sans avoir le temps de quitter le port. Il y avait un bateau appartenant à la Québec-Line, le Roraima, transportant du combustible. Il a brûlé durant trois jours avant de s’abîmer en mer. Un seul bateau réussit à fuir de peine et misère et atteignit Sainte-Lucie, l’île voisine. Le fameux voilier Belem, quant à lui, avait préféré s’ancrer au havre du Robert, faute de place devant Saint-Pierre. Un miracle. Il a ainsi été sauvé. Grâce aux archives, la description de cette catastrophe a été racontée par le capitaine d’un bateau qui était au large de Saint-Pierre. Ce qu’on y lit donne la chair de poule tellement ce fut infernal.

La cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption.

La cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption.

Revivre le désastre avec les émules de Cousteau

Actuellement, le centre de plongée sous-marine, situé sur la plage, offre aux plongeurs certifiés des sorties en mer. Les épaves sont pour la plupart à de très grandes profondeurs, jusqu’à 300 pieds. D’où l’obligation d’être certifié et en possession d’un certificat médical récent pour plonger avec le club local. Ce site a attiré des plongeurs célèbres, notamment le fameux commandant Cousteau. Son ami et collaborateur Falco a résidé ici longtemps avant sa mort à 84 ans, en 2012, à Marseille.

Mme Paulette devant les ruines du théâtre.

Mme Paulette devant les ruines du théâtre.

Un peu d’histoire

La ville de Saint-Pierre a été fondée en 1635 par le flibustier normand Pierre Belain d’Esnambuc pour le compte de la couronne de France et de la Compagnie des îles. Devenue au fil des ans la ville commerciale majeure dans les Antilles, notamment grâce à ses exportations de rhum, elle fut choyée par l’implantation des arts et de la mode parisienne et surtout par le splendide théâtre de 800 places, complètement rénové en 1901. On y présentait les meilleurs spectacles parisiens. On y retrouvait aussi un réseau d’éclairage urbain électrique.

Aujourd’hui, Saint-Pierre a visiblement perdu sa splendeur d’antan. Seulement 4700 habitants y vivent. En déambulant sur la rue Victor-Hugo, on aperçoit les vestiges architecturaux de l’époque coloniale fastueuse d’avant le désastre. La magnifique cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption, qui a été partiellement détruite lors de l’éruption, est encore là avec ses beaux jardins fleuris. Le ciment et le béton ont maintenant intégré les rues et se juxtaposent aux vieilles pierres encore bien présentes dans de nombreux édifices. Par hasard, nous rencontrons Paulette près des ruines du théâtre. Très croyante, cette vieille dame allait prier à la cathédrale. Avec tout le charme des Martiniquais d’un certain âge, elle nous décrit dans un langage imagé ce que sa maman lui a raconté de l’éruption de 1902. « Le monde était méchant, méchant! C’était la punition de Dieu! », nous confie-t-elle en sortant un chapelet de son petit sac de plastique rose. « Est-ce que les gens prient chez vous? » nous demande-t-elle bien candidement. Elle va même jusqu’à nous fredonner une chansonnette en créole, apprise de sa maman qui avait heureusement fui la ville peu avant le désastre.

Pour bien comprendre toute la trame historique des événements, s’offrir la balade dans le Petit Train est un must. Elle est commentée admirablement par M. Pain, un résident. Avec beaucoup d’humour, il décrit comment le prisonnier Louis Cyparis a survécu à l’éruption grâce à son état de semi-paralysie des voies respiratoires, consécutive à son absorption phénoménale de ti-punch durant la journée précédente. Celui-ci s’était évadé de la prison et avait décidé de revenir purger sa peine la veille de l’éruption. Sur le chemin du retour, il avait rencontré ses copains et avait levé le coude plus que de raison. On le retrouva trois jours après l’éruption dans le cachot de la ville, brûlé mais vivant. Il a terminé sa vie en s’exhibant pour le cirque Barnum & Baily en tournée partout dans le monde.

Vue du village Le Carbet et de la montagne Pelée.

Vue du village Le Carbet et de la montagne Pelée.

M. Pain nous raconte avec moult détails cette éruption dramatique, les journées qui l’ont suivie où les nombreux pillards venus des environs et des îles voisines redoublaient d’adresse pour s’accaparer un butin qu’ils devaient prélever directement sur les victimes en leur tranchant des membres à la machette, les métaux ayant fondu à cause de la chaleur intense.

Saint-Pierre était à l’époque le premier port maritime de la Martinique et le commerce y était florissant.

D’autres éruptions de la montagne Pelée ont eu lieu durant cette année de 1902, notamment celle de décembre, et dans les années subséquentes, mais aucune n’a fait autant de victimes que celle du 8 mai. Maintenant, le volcan est endormi. De mignonnes villas neuves avec vue imprenable sur la baie sont en vente sur ses flancs à quelque 160 000 euros.

Un centre de surveillance a été installé en 1930 afin de déceler d’autres éruptions. Pour l’instant, la montagne Pelée offre le magnifique panorama de sa cime qui frôle les nuages, mais sa furie peut reprendre à tout moment.

Les habitants ont un souvenir omniprésent de cette terrible journée dans chacun de leurs déplacements quotidiens… tout en gardant leur gentillesse et leur sourire chaleureux et engageant.

Par Monique Reeves

*Cet article a été publié dans le magazine Printemps 2016 de Québec Yachting.