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La retraite à voile : Est-ce le bonheur assuré?

Naviguer sur la mer des Caraïbes. Crédit photo : Holger Wulschlaeger, Schutterstock.

Naviguer sur la mer des Caraïbes. Crédit photo : Holger Wulschlaeger, Schutterstock.

Si depuis longtemps vous rêvez de partir en mer, il est probable que le bonheur vous y attend. Quand on aime, ce ne sont pas deux ou trois petits aléas qui vont nous rendre malheureux. Mais si la vie à flot nous est contrariante, un rien nous irrite et notre bonheur rapidement s’effrite.

Partir en mer pour ma retraite serait-il un choix heureux pour moi? La question est difficile à répondre. Oui pour plusieurs, mais évidemment pas nécessairement pour tous. Quel genre de personne risque de trouver ce mode de vie plutôt heureux et très satisfaisant? Tout d’abord, ceux et celles qui aiment la nature sont assez répandus. Puisque vous lisez ce magazine, il est probable que vous aimiez la nature. En choisissant de bourlinguer, nous allons baigner continuellement dans la nature et souvent en pleine nature sauvage. On pense instinctivement nature en mer, mais très souvent ce sera à terre. Et l’une n’est pas plus importante que l’autre à notre bonheur. Nous naviguons d’une île à l’autre. Et finalement, visiter les différentes terres est vraiment le but non avoué de notre choix. Les rencontres en mer, tout de même, demeurent vivantes en mémoire. Certaines ne s’effaceront jamais, aussi longtemps que nous vivons. Comment j’oublierais la jeune baleine qui nous a accompagnés des heures durant. Pas plus que la petite famille de dauphins qui ont nagé à nos côtés toute une nuit quand nous fuyions un possible ouragan. Ils nous ont tenu compagnie jusqu’au matin. Et ce n’est qu’une fois l’ancre mouillée dans un lagon de l’île de Coche, au Venezuela, qu’ils ont sauté très haut deux fois et nous ont quittés. Ils me manquent toujours.

Pour être serein en mer, mieux vaut posséder une bonne connaissance de la navigation. Aimer rencontrer des gens de toute culture. Parler plus d’une langue devient important quand on veut échanger des propos un peu sérieux avec soit des marins venus d’ailleurs, soit les gens du pays que nous visitons. Ici, je pense surtout au français, à l’anglais et à l’espagnol. Accepter assez facilement des idées nouvelles sera aussi pour nous un atout. Ajoutez une petite dose de témérité, mais très peu! Il faut plutôt une bonne dose de confiance en soi, obtenue logiquement par une succession d’expériences de plus en plus importantes.

Une tortue et un dauphin près d'un récif. Crédit photo : Andrea Izzotti, Schutterstock.

Une tortue et un dauphin près d’un récif. Crédit photo : Andrea Izzotti, Schutterstock.

Mieux vaut être franc avec soi-même avant de s’engager dans ce mode de vie. Il ne faut pas tenter de se convaincre qu’on s’adaptera à tout, au risque de se voir abandonner avant deux ans. C’est une décision majeure qui implique des coûts et des efforts. Ce n’est pas un mariage. Mais pas si loin. On accepte l’errance comme partenaire de vie invisible.

Mais quel est ce rêve de bonheur qui nous motive à changer de vie? Nous avons déjà discuté d’un plaisir bien réel, si difficile à expliquer, celui d’être simplement sur l’eau ou près de l’eau. Évidemment, la vie à bord apporte ce plaisir. Il y a plus. Presque tous, nous naviguons sur des eaux tropicales. Et quel plaisir de voir et de sentir éclore des fleurs toute l’année. Une végétation aussi dense nous était inimaginable. Quand on dit « boisé impénétrable », ce n’est pas une image de style! C’est tout à fait vrai. Et ce ne sont pas que des arbustes qui poussent si près les uns des autres. Des arbres qui font trente mètres. Et qui portent des fruits. Il y en a partout. Oui, même les avocatiers peuvent atteindre ces hauteurs. Ne vous installez pas dessous : il pourrait vous pousser des prunes!

Toute cette ambiance festive qui n’en finit pas. Qui n’en finit jamais. Baigner dans cette atmosphère l’année durant, évidemment ça communique un bien-être profond et permanent. La nature change, mais sans passer par des saisons mortes. Il existe des saisons pour les fruits. Pas la même saison pour tous les fruits.

Quand on croise des gens qui vivent sous cette atmosphère, on observe en catimini qu’ils ont presque toujours un sourire doux, qui a fini par marquer leurs traits. Ils nous saluent avec un « bonsoir » s’il est passé midi. Oh! Mais on ne les connaît pas! Les premières fois, on est pris au dépourvu. On bredouille. Puis, tout doucement, on accroche aussi un sourire à nos traits. Et maintenant, on est le premier à sourire et à souhaiter une belle journée à ceux qu’on croise. Et vous savez? Ça procure un petit bonheur chaque fois, quand tout sourire on nous répond simplement « bonjour ». Il fait partie de la nature, ce sourire qui nous a fait plaisir, comme le nôtre qui fait plaisir à l’autre. Autres pays, autres mœurs, et c’est un bonheur simple que de les découvrir.

Oui, il nous arrive de rester bouche bée devant la nature. Mais plus souvent, ce sont tous ces petits gestes, ces petits moments qui entretiennent le bonheur de vivre sa retraite sur un voilier en perpétuel déplacement. Oui, on s’arrête. Et quelques fois pour un bon moment. Puis, l’esprit nomade nous rattrape et on repart voir plus loin. Sur un bateau, les oiseaux sont presque toujours présents. Imaginez, sur la côte caribéenne de l’Amérique du Sud, on connaît 1381 espèces d’oiseaux! Oui, même pour ceux qui comme moi ne sont pas des « bird watchers », c’est impressionnant. Une cigogne ou un marabout ne sont pas des moineaux, je vous le jure! Quand le soleil est descendu en bas de l’horizon, voir les pélicans plonger et faire mouche à tout coup pendant que rieuses et autres mouettes tristement les regardent avec envie, c’est tout un spectacle!

Le volcan de la Soufrière Hills, sur l'île de Montserrat. Crédit photo : Photovolcanica.com, Shutterstock.

Le volcan de la Soufrière Hills, sur l’île de Montserrat. Crédit photo : Photovolcanica.com, Shutterstock.

La nature nous sert aussi d’immenses spectacles, telle l’éruption du volcan sur l’île de Montserrat. C’était fascinant, surtout de nuit, de voir la montagne éjecter ses cendres lumineuses qui retombaient et descendaient ses flancs à grande vitesse, depuis le sommet jusque dans la mer, qu’elle transformait instantanément en un immense rideau de vapeur. Pourtant, ce sont plus les tout petits spectacles quotidiens qui forment l’omniprésente sérénité des retraités à bord.

Si vous optez pour une retraite à naviguer, ce ne sera peut-être pas l’éruption d’un volcan qui vous séduira, mais vous verrez des baleines de près, vous parlerez aux dauphins, vous pêcherez une daurade coryphène, vous croiserez des gens qui vous lanceront au milieu de l’après-midi un « bonsoir » souriant. Et je parie que vous leur répondrez avec le même sourire par un « bonsoir » encore plus rieur.

Si c’est pour vous un plaisir de voir dame Nature vous montrer ses belles parures, de goûter un différent calalou, de lancer un bonsoir ou un buenas à un parfait étranger, alors oui je pense que vous trouverez le bonheur en vivant à bord et en changeant de terre à intervalles irréguliers. Ce sera mieux que ça, ce sera probablement la plus belle période de votre vie!

Je vous souhaite de décider sagement et de profiter exagérément.

Par Michel Brassard,

*Cette chronique sur la retraite à voile a été publiée dans le magazine Été 2016 de Québec Yachting.