Québec Yachting

Québec-Halifax sur le grand voilier trois-mâts Oosterschelde

Le rêve de Pierre-Plume à la Mer, réalisé lors du Rendez-vous 2017!

Devant Matane, le capitaine et son second ont tout mis en œuvre pour faire de moi le plus heureux des hommes. Même sous un vent des plus faibles, c’est presque toutes voiles dehors que le grand voilier a pavané devant tous les plaisanciers rassemblés au large pour saluer notre passage. Devant chez moi, la corne de brume a retenti, comme pour saluer et remercier ce jour grandiose! Crédit photo : Audrey Blouin.

Le 22 juillet dernier, à 15 h précises, j’ai rejoint le bord de la goélette à trois-mâts et hunier centenaire néerlandais Oosterschelde. C’est dans le port de Québec que ce rêve fou, en préparation depuis près d’une année, s’est enfin concrétisé pour moi, touchant sur le coup à la quintessence des émotions les plus éclatées. En découvrant le voilier de près, j’ai tout de suite compris que nos routes étaient faites non point pour se croiser, mais pour s’amalgamer, s’amariner toutes deux l’instant d’un voyage hors du temps, suspendues au nadir de nos horizons consommés sous le vent.

L’accueil que nous réservaient le capitaine et son équipage n’allait en rien altérer ce bonheur qui déjà m’avait envahi et irradiait de tous mes pores en perles de joie bien salées. Ce voyage et ce voilier sont en moi à tout jamais. Le regard et le cœur toujours tournés vers l’océan, je me tiens droit et fier comme un mât de misaine et je cherche au près serré à rejoindre l’azimut d’une destinée nouvelle. C’en est fait de moi! Mon âme est marine.

Après une première soirée et une première nuit à bord, bercé par les étoiles et la marée faisant respirer son bateau le long du quai, l’équipage a vu poindre l’aurore sur la Vieille Capitale et ce fut le moment tant espéré du départ. Déjà, nous pouvions constater à quel point les marins étaient fiers de leur navire, le traitant aux petits oignons, polissant ses rampes dorées, retouchant une surface peinte ou frottant une boiserie pour la faire reluire à la moindre occasion. La parade des quelque 38 grands voiliers saluant d’un au revoir toutes voiles dehors les villes de Québec et de Lévis était gorgée d’une émotivité sans pareil et nous, marins en devenir, n’avions qu’à boire à grandes lampées ces cristaux magiques que le soleil déposait sur la dorsale en éveil du Saint-Laurent. Passé la pointe est de l’île d’Orléans, l’absence complète de vent n’autorisant d’aucune façon la progression sous toile du navire, c’est avec le concours unique du moteur que nous avons navigué le long du fleuve, déposant au deuxième matin les deux pilotes à la station des Escoumins.

Au cours du voyage, j’ai moi-même barré à deux reprises le grand voilier : sur le Saint-Laurent près de Saint-Jean-Port-Joli et peu avant notre arrivée à Halifax. Ici, Cap’tain Marteen joint sa bonne humeur à la mienne en faisant coucou par la fenêtre de la timonerie! Crédit photo : Guy Patenaude.

La fin d’après-midi de cette même journée du 24 juillet a vu l’Oosterschelde gagner le large de Matane, mon fief et ma patrie gaspésienne, et c’est à nouveau vêtu de ses plus beaux atours que notre « Hollandais volant » s’est présenté à ma ville, à mes amis venus avec leur propre voilier juste à côté de ce grand oiseau de mer saluer mon passage et ma joie d’être à bord! Un moment que je ne pourrai jamais oublier. Jusqu’au maire et sa conjointe qui se sont approchés sur leur zodiac, nous souhaitant bonne mer et bon vent. Peu de temps après, un autre coucher de soleil comme seul le large sait les offrir et hop! Une nouvelle nuit noire drapée d’étoiles.

À bord, les quarts de travail étaient établis selon le modèle suivant : 8 h à 14 h, 14 h à 20 h, 20 h à 0 h, 0 h à 4 h, 4 h à 8 h. L’équipage des apprentis-matelots était divisé en trois équipes jumelées à un (une) ou quelques marins expérimentés (es) et portant chacune le nom d’une des couleurs du drapeau néerlandais : la rouge, la blanche et la bleue. Sept membres réguliers d’équipage, dont un cuisinier des plus appréciés et 25 apprentis, telle était notre confrérie du bord. Des gens des Pays-Bas, du Québec, de la Suisse, de l’Allemagne, du Canada, des États-Unis, du pays wendat et des Bermudes. Possible que bien involontairement j’en oublie! La langue anglaise était d’usage lorsque nous voulions tous nous comprendre, bien que toutes résonnaient ici et là sur les ponts, comme l’agréable écho d’une communion des cultures.

L’absence fréquente de vent, surtout en première partie de voyage, a fait en sorte que la plupart de nos nuits étaient libres, faute de travail à accomplir sur le pont. Qu’à cela ne tienne, j’étais toujours l’un des derniers à regagner ma cabine, me délectant au maximum de la magnificence des nuits pures et des leçons d’astronomie nimbées de mythologies antiques du capitaine Marteen. La rotation des quarts avait entre autres pour but de nous faire vivre la veille sur un navire à chacune des périodes diurne et nocturne d’un cycle de 24 heures.

Chaque soir, au début du souper, le capitaine faisait tinter la cloche du salon, requérant ainsi l’attention de l’équipage. Il faisait alors le point sur le temps qu’on annonçait, nos options de routes, un retour sur certaines manœuvres accomplies dans la journée, etc. Plusieurs fois par jour, des exposés théoriques, illustrés à la craie sur le pont du bateau ou au tableau dans le salon par Marteen ou son second, nous faisaient partager les bases de la navigation astronomique, de la météorologie et des vents, des particularités et usages de la mâture et des voiles.

Sur l’Oosterschelde, l’un de mes passe-temps favoris était de me jucher sur le mât de beaupré. De là, seul au monde face à l’horizon, j’avais l’impression de chevaucher mon trois-mâts transformé en oiseau. Crédit photo : une ou un camarade de bord.

Le jour suivant vit l’Oosterschelde émerger de l’aurore à la hauteur de Cloridorme, toujours le long de la côte gaspésienne. Il fut estimé que nous passerions le cap Gaspé vers midi et que Percé serait doublé par le large quelque part au milieu de l’après-midi. Un camarade « trainee » (apprenti), avec qui j’avais rapidement fraternisé dans les heures précédant le départ de Québec, décida à ce moment qu’il serait de très bon goût de nous faire livrer du homard à Percé, directement à bord de notre trois-mâts, en vue du dîner du soir. Le plan, aux allures d’abord envisagées farfelues par plusieurs personnes dont j’étais, s’avéra d’étape en étape bien ficelé et se déroula au final si bien qu’on eût dit que le trident du roi Neptune lui-même avait forcé son retentissant succès! Le capitaine et le cuisinier ayant donné leur aval, un petit homardier fut affrété pour nous remettre la précieuse cargaison des 32 crustacés.

Ajoutant une touche quasi surréelle à ce tableau déjà grandiose, mon amoureuse, notre plus jeune fille et sa marraine, en voyage à ce moment même dans la Baie-des-Chaleurs, accomplirent juste à temps la distance de trois heures de voiture séparant Carleton de L’Anse-à-Beaufils (le petit port de pêche du homardier, juste avant Percé), y rejoignirent en secret le capitaine-livreur et montèrent à bord pour nous apporter elles-mêmes notre royal souper! Ayant malencontreusement raté la veille mon passage devant Matane, elles venaient à l’instant de se rattraper d’une romanesque façon! Il va sans dire, nos cœurs battaient la chamade et nos furtifs baisers échangés à la dérobée le long du grand voilier néerlandais furent dignes d’un vrai scénario de film, tout juste entre le village et le rocher Percé en personne!

Une fois éclipsé ce nouvel et inespéré au revoir aux miens accompli comme en songe de mer, l’Oosterschelde poursuivit sa route, non sans avoir approché au possible la célèbre île Bonaventure et sa colonie de fous de Bassan. La nuit venue, le trois-mâts fut détourné de sa course par un appel lancé par le Peter Von Danzig II, un voilier allemand de 55 pieds lui aussi inscrit au Rendez-vous 2017, aux prises avec un problème de moteur. Le tout fut rapidement fixé et nous avons par la suite navigué jusqu’au petit matin, où nous découvrîmes bientôt, loin sur bâbord, les Îles-de-la-Madeleine, puis plus tard l’Île-du-Prince-Édouard à tribord. Une zone où nous vîmes entre autres passablement de rorquals communs et phoques de différentes espèces. De beaux spectacles en mer!

Le 26 juillet, une belle journée de voile et de moteur en alternance. Nous ne pouvions nous permettre de trop ralentir la cadence, étant obligés d’atteindre notre port de débarquement le 29 juillet au matin. En fin de journée, nous avons rejoint l’entrée du canal Canso qui sépare l’île du Cap-Breton de la partie continentale de la Nouvelle-Écosse, du golfe du Saint-Laurent à l’océan Atlantique. L’itinéraire de choix favorisé et souhaité au départ (contourner et doubler le Cap-Breton puis revenir sud-ouest vers Halifax) s’avérant désormais impossible en l’absence de vents suffisamment favorables, l’option de la traversée par le canal s’imposait dès lors, forçant une fois de plus l’embarquement d’un pilote à bord de notre goélette. Conflit d’horaire, malentendu ou embrouille, allez savoir, le pilote n’a rejoint notre bord qu’à l’aube du jour suivant, nous laissant à l’ancre à l’entrée du chenal. De belles heures de voile envolées, troquées par ce coquin de sort contre une nuit à la cape, en bordées d’étoiles et des légendes du capitaine sur le pont!

Le lendemain, après la traversée de quelques heures du canal, c’est l’océan Atlantique qui nous ouvrait ses bras, dans de belles déferlantes pas trop mesquines, agitées par le vent le plus collaboratif qu’il nous avait été donné de rencontrer jusqu’alors. L’Oosterschelde s’est payé ainsi qu’à tout l’équipage de très beaux surfs, tantôt tribord, tantôt bâbord amures. Après l’ascension répétée du plus haut sommet du mât-goélette (le mât vertical le plus avant) à quelque 120 pieds au-dessus de la mer, mon autre sauvage plaisir était d’aller me jucher sur le bout-dehors, le plus à l’avant possible sur le mât de beaupré, tout à l’avant de la proue et là, à cheval sur Pégase, chevaucher l’écume, enivré d’embruns, seul au monde, entonnant des chants de marins à réveiller le Kraken!

Ces deux dernières journées complètes en mer ont été pour nous l’occasion de pratiquer et parfaire mieux que jamais les manœuvres et le travail sur notre grand voilier. « Hissez les voiles! Bordez l’écoute! Ajustez la vergue du hunier! Montez dans les haubans! ». Un boulot gratifiant et éreintant à la fois! Des gestes immémoriaux, répétés et disséqués pour bien les assimiler. Une semaine aux oiseaux, bien en selle sur le dos de mon rêve, voilà ce que j’ai vécu!

L’ascension du « schooner mast » (le mât de misaine pour nous francophones), à quelque 120 pieds au-dessus du pont du navire, a de quoi donner aux aventuriers toute une dose de sensations fortes. Ici, je suis à quelques enfléchures de surplomber le hunier le plus haut (la voile carrée) et de chatouiller les nuages. Crédit photo : une ou un camarade de bord.

L’entrée triomphale sur Halifax le 28 juillet aura certes été un autre très fort moment de notre aventure. Les centaines de personnes massées sur les quais, les plus petits bateaux tout autour de nous, le retentissant salut d’usage de notre canon du bord, les émotions diverses mêlées au sel de l’eau et de l’air, les festivités heureuses de notre dernière nuit sur notre grand voilier… Au matin du 29 juillet, plusieurs dont moi ont rejoint leur propre route, laissant derrière l’Oosterschelde, tandis qu’une poignée d’autres restaient à bord, s’afférant déjà aux préparatifs de la reprise – et ultime étape – de la course Rendez-vous 2017 : la traversée de l’Atlantique jusqu’au Havre, en France! Vous imaginez?

Cette aventure de partage et de fraternité a été mémorable. Il n’y a qu’à songer aux débuts de soirées musicales aux chants de marins, au piano (oui, il y avait un piano à bord!), à la guitare, aux cuillères et aux harmonicas! Le capitaine entonnant plus d’une fois par jour les paroles du classique « What shall we do with the drunken sailor » que nous reprenions en chœur, et j’en passe! Avec quelques semaines de recul, je crois comprendre que mon voyage en voilier et ma course autour du monde ne se sont pas arrêtés dans le port d’Halifax. Ils y ont fait escale, puis de là j’ai rejoint ma famille et mes amis. Douces et exquises retrouvailles!

Mon rêve, je ne l’ai pas regardé me passer sous le nez. Je l’ai vécu. Aujourd’hui comme chaque jour, je vois ce fleuve devant ma ville. Il est le même, mais en moi quelque chose a changé. J’ai tracé sur l’échine du Saint-Laurent une route juste à moi, le nouveau Rendez-vous avec la mer que j’avais appelé de tous mes vœux. Je connais maintenant le chemin. Je sais d’où naîtra la prochaine brise et je connais le sillage de l’Oosterschelde. Je sais que je vais naviguer à nouveau. Sur quelles mers? Avec quel équipage? Sur quel voilier? Disons que j’ouvre l’œil et suis ouvert à de possibles propositions. Une idée comme ça : et pourquoi pas une transatlantique un de ces quatre? Pour le moment, l’océan seul sait ces secrets.

« Dès que le vent soufflera, je repartira 

   Dès que les vents tourneront, nous nous en allerons »  (Renaud)                          

***


Un voyage de cette envergure demandait un investissement de soi considérable, de même qu’une participation financière non négligeable de ma part. Afin de m’aider à boucler mon budget, j’ai procédé durant l’hiver dernier à une collecte de fonds au sein de laquelle j’ai vendu plusieurs articles promotionnels aux couleurs de Pierre-Plume à la Mer. Ces articles ont été réalisés et conçus par deux entreprises de Matane. Aussi, bon nombre d’entreprises et d’organismes de la région ont embarqué généreusement dans mon projet. Pour leur soutien et leur confiance, je tiens à remercier ici mes précieux partenaires d’aventure et commanditaires : Miralis, Les Ateliers Léopold-Desrosiers, Brasserie artisanale La Fabrique, Club de Yacht de Matane, MRC de la Matanie, Les Barges de Matane, Québec Yachting, Sail on Board, Organisation Serge Bernier, Club Voyages Bravo, Impressions Verreault ainsi que tous mes autres donateurs et donatrices.

Par Pierre-Luc Morin alias Pierre-Plume à la Mer

*Cet article a été publié dans le magazine Automne 2017 de Québec Yachting.