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La retraite à voile – Comment devenir un « voileux »?

Crédit photo : Mbran85, Shutterstock.

Tout d’abord, dissipons un mythe. Les vieux voileux comme moi sont portés à croire qu’il faut avoir barré depuis sa toute jeunesse pour penser s’évader de par les océans avec la complicité d’Éole. Faux! Même si vous ne savez pas ce que signifie « barrer » pour les marins, vous pouvez très probablement tout apprendre de la mer et du vent, quel que soit votre âge. Vous deviendrez alors un des nôtres, soit un vieux voileux qui erre par les mers, sans adresse fixe, sourire aux lèvres, le bonheur dans le cœur.

Vraiment? Oui vraiment. J’ai eu le plaisir de croiser un couple à la retraite qui rentrait d’un tour du monde sur son voilier sans avoir connu de grands problèmes. Et pourtant, ils avaient vécu en Abitibi. Donc, la mer n’était pas au départ leur voisine. Ils n’ont appris la navigation qu’une fois retraités. C’était certainement pour eux un vieux projet bien mûri, un rêve réalisé. Ils en étaient fiers. Oui, mais c’est surtout un bonheur contagieux qui émanait d’eux.

Bon, admettons qu’il soit envisageable d’apprendre la voile de croisière à tout âge. Alors, comment peut-on procéder pour obtenir les connaissances et l’expérience nécessaires pour un jour revenir bien satisfait de plusieurs années de voyages à la découverte du monde? L’école de voile, évidemment. Nous en avons tous entendu parler. Mais une première décision devient nécessaire : devrions-nous apprendre la voile de croisière sur des quillards ou la voile plus sportive sur des dériveurs? Par dériveur, on entend un petit voilier muni d’une dérive, soit une surface (genre planche) qui se glisse vers le fond et freine la dérive, ou glissade de côté, afin de nous permettre d’aller remonter le vent jusqu’à 45 degrés de sa provenance. Ces bateaux sont petits, généralement de 15 pieds ou moins, légers et chavirables.

Mon conseil : si vous êtes assez en forme et bon nageur, commencez avec un dériveur comme le Laser. On chavire fréquemment et on apprend bien plus vite. Qu’est-ce qu’on apprend plus vite? La manœuvre d’un voilier et la mécanique précise de la voile. Les bons réglages deviennent souvent rapidement évidents. On sent et on voit les accélérations. Les premières fois que votre dériveur déjaugera, votre cœur s’emballera. C’est un réel plaisir que de planer sur l’eau, propulsé uniquement par la brise. Sur un petit dériveur, on navigue de plus petits parcours, souvent en compagnie de bien d’autres petits voiliers. Les règles anti-abordage se révèlent donc tout de suite utiles, voire essentielles. Un autre avantage non négligeable sur un petit monoplace comme un Laser : on est immédiatement promu skipper (capitaine). On apprend donc le réglage de la voile en même temps qu’on change d’allure. Comme les parcours sont moins grands, on est souvent assez près des autres qu’on peut leur demander conseil. Eh oui, même si on est en course, le voisin (notre concurrent) nous offre ses conseils avec le sourire. C’est souvent comme ça, la voile. On fait maintenant partie de la confrérie des voileux.

Crédit photo : Syda Productions, Shutterstock.

Si vous ne possédez pas la forme physique nécessaire au dériveur léger, il est possible de sauter cette étape et d’aller tout de suite vers les quillards. La grande différence entre quillards et dériveurs, vous devinez, c’est une quille qui remplace la dérive. Une quille, en plus de nous éviter de dériver, prévient que le mât pointe vers le bas. C’est ainsi grâce à la lourdeur de la quille (et non au déplacement de votre corps jusqu’à avoir le dos suspendu au-dessus de l’eau) que le bateau résistera à la force vélique qui produit la gîte jusqu’à un éventuel chavirage. L’apprentissage ne sera pas tout à fait le même. Presque tous les grands noms de la voile ont débuté par des régates de dériveurs olympiques, comme Paul Elvstrom, Marc Pajot et Gerry Roufs.

Peut-être, ne vous étant jamais installé à la barre d’un dériveur, vous n’aurez pas ce petit « plus » quand viendra le temps de régler au maximum la performance de votre voilier! Est-ce si important? Est-il utile de savoir régler les voiles pour une vitesse ou une remontée au vent maximale? Quelques fois oui, cela peut faire une différence, mais c’est surtout un des plaisirs de la voile. Oui, on devient souvent un peu maniaque quand on devient voileux. Mais bon, vous serez tout à fait à l’aise à la barre de votre quillard en mer sans n’avoir jamais posé vos fesses sur le plat-bord d’un Laser.

De toute façon, il est essentiel de passer par l’étape d’apprentissage du voilier de croisière. Il faut apprendre bien d’autres secrets de la navigation. Justement, il faut apprendre à se servir de tous ces mots bizarres que sont longitude, latitude, nœuds, orthodromie, grains et risées. Oui, même si on possède plusieurs GPS et systèmes de navigation. Il faut comprendre la navigation et la météo. Et tout cela est du domaine de la croisière. Il faut connaître bien des petites choses qui révéleront leur importance en mer.

Il n’y a pas que la connaissance. Vous vous doutez bien que l’expérience a une énorme part dans le succès d’une croisière agréable. Si vous obtenez l’expérience de la croisière en naviguant sur un lac ou le fleuve, un petit conseil : sortez aussi quand il fait moins beau. Naviguez de nuit, par temps gris, ciel couvert, sans lune, par vent un peu plus fort que n’exige votre confort. Allez quand il faut prendre des ris, même deux ris. Apprenez à mouiller l’ancre quand il y a d’autres bateaux autour. À mouiller sur deux ancres afin de restreindre votre évitage. Vous aurez souvent alors à démêler les chaînes au moment de lever une des deux ancres.

L’expérience de la mer s’obtient évidemment en quittant la côte progressivement pour de plus grandes navigations dans des conditions pas toujours idéales, si pas trop dantesques tout de même.

Est-il possible de se préparer avant d’aller à l’école de voile? Oui, vous pouvez vous acheter « l’uniforme » ciré et bottes de caoutchouc, mais ce n’est pas ce que je voulais écrire. Quand on vous demandera « peux-tu border un peu l’écoute de génois », il serait avantageux de comprendre. Quand on fait des manœuvres, il faut que tout se déroule au bon moment. Alors, on n’a pas le temps d’expliquer la différence entre bâbord et tribord. Tout ce vocabulaire qui vous paraît inutile devient essentiel quand on doit communiquer lors de navigations. Mais il devient aussi précieux quand on veut apprendre la navigation. Quand on vous indique de lofer ou d’abattre, il faut comprendre la demande ou le conseil. Chaque « corde » a son nom et aucune ne s’appelle corde, heureusement. Mais aussi les manœuvres ou mouvements du bateau ont des noms. Lofer, c’est aller du côté du vent tandis qu’abattre est le contraire, soit s’éloigner du vent. Il y a plusieurs termes essentiels à connaître. Et il est facile de les apprendre avant même d’être sur l’eau.

En plus des écoles de voile et de croisière, il y a des associations de voile qui peuvent aider à répondre à plusieurs questions qui vous viendront à l’esprit. Les associations sont aussi efficaces pour rencontrer des gens qui accepteront un jour de vous accompagner lors de vos premières navigations ou qui vous inviteront à les accompagner. On n’a jamais trop d’expérience.

Tout cela peut vous sembler austère. En fait, c’est tout le contraire. La voile, un milieu un peu exigeant? Oui, probablement, mais naviguer avec la nature et ses beautés est unique et apporte une grande satisfaction.

Bons vents portants!

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Voici quelques termes de voile utiles. Vous remarquerez que nombre de termes très québécois nous viennent de la mer.

Le terme et son contraire

Allure : la direction du bateau relative au vent.

Près : comme vous le devinez, la direction la plus près du vent qui permette d’avancer.

Largue : quand on reçoit le vent perpendiculaire au bateau.

Vent arrière : évidemment quand le vent nous arrive de l’arrière.

Au vent : du côté (bord) d’où vient le vent. Sous le vent : du côté (bord) où va le vent.

On verra aussi « haut » et « bas ». Comme à la Guadeloupe Terre-de-Haut, qui est la plus basse en fait, mais au vent; et Terre-de- Bas, qui est montagneuse, mais sous le vent.

Lofer : aller au vent ou monter. Abattre : s’éloigner du vent.

Par Michel Brassard

*Cet article a été publié dans le magazine Automne 2017 de Québec Yachting.