Est-ce que mon embarcation contribue à propager les plantes envahissantes qui m’empêchent de me baigner?

Herbier très dense de myriophylle à épis, lac Laurel, 2018. Crédit photo : Denise Cloutier.
Quoi de plus désagréable que de se baigner au bord d’un lac quand celui-ci est envahi de plantes aquatiques? La sensation déplaisante de traverser une forêt aquatique avec un fond vaseux rebute les nageurs les plus aguerris qui doivent soit allonger leur quai pour sauter à l’eau ou carrément sauter à partir d’une embarcation au large.
Tout d’abord, voyons pourquoi mon lac est envahi par des plantes aquatiques?
Certaines plantes exotiques aquatiques envahissantes ont été importées par des navires qui lestaient l’eau de leurs ballasts dans le fleuve. C’est le cas, notamment, du myriophylle à épis qui a été observé dans le fleuve pour la première fois à la fin des années 50. Il a aussi pu être introduit comme plante d’aquarium. De nombreuses autres plantes et espèces exotiques envahissantes[1] sont arrivées de la même façon dans nos lacs à partir de l’eau des ballasts ou de cales à poissons d’embarcations ayant navigué sur le fleuve, ou encore avec les flotteurs d’hydravions.
Faisons la distinction entre les plantes aquatiques et les algues. Les plantes aquatiques prennent racine dans le fond du lac, comme les nénuphars, le myriophylle à épis, etc. Les algues n’ont pas de racines et flottent dans la colonne d’eau, comme les cyanobactéries qui, lorsque trop nourries de phosphore ou d’azote, s’amalgament et se transforment en algues bleu-vert. On sait que les bateaux qui brassent les sédiments de fond contribuent à relarguer dans la colonne d’eau les nutriments que contient chaque sédiment.[2]

Détail des feuilles du myriophylle à épis, 2018. Crédit photo : Denise Cloutier.
Claude Lavoie, de l’Université Laval, dans son ouvrage 50 plantes envahissantes, protéger la nature et l’agriculture, explique à la page 252 comment les embarcations peuvent propager du myriophylle à épis :
« Les fragments peuvent aussi être créés par le passage d’une hélice de bateau dans un herbier. Ils flottent à la surface ou entre deux eaux, ce qui leur permet de se propager sur une certaine distance tout en poursuivant leur croissance. S’ils se déposent sur un substrat favorable à leur enracinement, ils peuvent donner naissance à un nouvel herbier.
Les fragments de tige survivent au moins d’une à trois heures hors de l’eau, plus longtemps (jusqu’à 35 heures) s’ils forment un agglomérat humide, comme enroulés autour d’une hélice de moteur hors-bord. Si les fragments sont d’assez grande taille et rapidement déposés dans un autre plan d’eau, ils peuvent s’enraciner et commencer la formation d’une nouvelle population. Ce n’est donc pas un hasard si un des principaux facteurs prédictifs de la présence du myriophylle à épis dans les lacs d’une région est l’existence d’une rampe de mise à l’eau pour embarcations nautiques. »

Tiges de myriophylle à épis coupées par les hélices du moteur. Crédit photo : Lac Lovering.
Personnellement, j’ai observé en 2020 à Vaudreuil-Dorion, sur les rives du lac des Deux Montagnes, un adepte de motomarine qui s’amusait à épater la galerie en tournant en rond à grande vitesse, « dans un herbier de plantes aquatiques », près d’une rampe de mise à l’eau.
De nombreux organismes, associations de lacs, municipalités déploient énormément de ressources, d’énergie et d’argent pour contrôler les plantes envahissantes et éviter qu’elles ne se propagent dans leur plan d’eau et dans le bassin versant. C’est le cas, notamment, de l’Association Lac Laurel qui a mis à contribution des plongeurs expérimentés et plus de 90 cueilleurs bénévoles sur cinq ans pour arracher de façon contrôlée le myriophylle à épis. Ses membres ont recueilli et éliminé plus de 1 590 kilos de cette plante. Ce lac a été le premier dans les Laurentides en 2019 à avoir réussi cet exploit en projet pilote avec l’aval du ministère de l’Environnement (MELCCFP).

Plongeur, cueilleur et balises pour délimiter la zone de myriophylle à épis, lac Laurel, 2018. Crédit photo : Denise Cloutier, Lac Laurel.
Selon le ministère de l’Environnement du Québec (MELCCFP), la présence de myriophylle à épis a été rapportée dans au moins 187 lacs et 27 cours d’eau en 2023. Il est possible de voir la liste dans le document produit par le MELCCFP. Ce ministère a aussi produit un Guide d’accompagnement, Prévention et lutte contre le myriophylle à épis, très utile pour en apprendre plus. Depuis 2019, le gouvernement du Québec investi 8 millions $ par année pour la lutte contre les plantes exotiques envahissantes, dont le myriophylle à épis.

Après la cueillette, on laisse égoutter le myriophylle à épis avant de le mettre au compost industriel, Lac Laurel, 2018. Crédit photo : Denise Cloutier, Lac Laurel.
D’autres plantes envahissantes comme la châtaigne d’eau et l’aloès d’eau font l’objet de grandes préoccupations de la part du ministère de l’Environnement, qui mandate le COBAMIL (Conseil de bassins versants des Mille Îles), en collaboration avec la Fondation de la Faune, pour contrôler ces plantes dans la baie de Carillon et ainsi éviter qu’elles ne se propagent en aval, jusqu’au fleuve. De gros équipements et beaucoup de main-d’œuvre doivent être déployés pour effectuer ce contrôle.

Employés du COBAMIL qui ramassent les châtaignes d’eau dans la baie de Carillon, 2024. Crédit photo : Denise Cloutier.

Châtaigne d’eau dans la baie de Carillon, 2024. Crédit photo : Denise Cloutier.
Considérant tous les efforts déployés pour contrôler les plantes envahissantes, comme navigateurs, il nous incombe une importante responsabilité.
Voici quelques conseils :
- Toujours vous assurer de bien laver votre embarcation, ses ballasts, son vivier, ainsi que votre remorque avant d’entrer dans un lac et/ou en sortant d’un lac. De nombreuses municipalités offrent maintenant le service de lavage d’embarcation et souvent le rendent obligatoire. Rappelez-vous, c’est comme ça que les plantes envahissantes ont été introduites dans de nombreux plans d’eau au Québec.
- Ne pas naviguer dans des herbiers qui sont très sensibles aux hélices de moteurs et au brassage des eaux. Une simple bouture de myriophylle à épis coupée par votre moteur ou votre pagaie peut créer une colonie lorsqu’elle coule et s’enracine au fond.
- Évitez aussi les baies peu profondes des plans d’eau. C’est normalement l’endroit où elles s’installent. Si vous êtes obligé d’y passer, faites-le à la vitesse d’embrayage. Vous éviterez ainsi les désagréments liés à leur propagation et leur prolifération dans votre plan d’eau.
- Soyez toujours conscients :
- De la bathymétrie du plan d’eau en navigant avec la carte,
- Des zones sensibles peu profondes, et
- De la localisation des herbiers de votre plan d’eau.
- Si vous n’avez pas cette information, demandez-la à la municipalité ou à l’organisme de bassins versants où est situé votre plan d’eau ou consultez ma chronique de l’automne 2023 dans Québec Yachting.

Faucardeuse utilisée pour récupérer les châtaignes d’eau dans la baie de Carillon, 2024. Crédit photo : Denise Cloutier.
Naviguez avec le bon bateau au bon endroit avant tout!
[1] Pour en savoir plus sur les plantes envahissantes, voir les deux ouvrages de Claude Lavoie, 50 plantes envahissantes, protéger la nature et l’agriculture, 2019, Publications du Québec et 40 autres plantes envahissantes, protéger la nature aujourd’hui et demain, 2022, Publications du Québec.
[2] Voir la chronique de Denise Cloutier, Est-ce que les vagues de mon bateau peuvent avoir une incidence sur la diminution de la valeur de ma propriété riveraine?, Québec Yachting, Vol. 47 No. 1 — Hiver 2024, p. 36.

Aloès d’eau (dessus) et châtaigne d’eau, baie de Carillon, 2024. Crédit photo : Denise Cloutier.
Pour en connaître plus sur la Coalition Navigation, consultez le site web https://coalitionnavigation.ca.
*Cet article a été publié dans le magazine numérique Hiver 2025 de Québec Yachting. Abonnez-vous, c’est GRATUIT!