J/70 de J/Boats – Une machine à donner du plaisir

Il y a quelque chose d’assez charnel à chevaucher cette monture fringante, fougueuse, pleine de vie et généreuse de sang. Trente-cinq ans après son prédécesseur, l’héroïque J/24, le J/70 vient combler un vide dans la production de J Composite, dont on se demande d’ailleurs pour quelle étrange raison il a attendu si longtemps pour le faire. Dernier-né de la gamme du chantier d’Olonne-sur-Mer, candidat à l’élection de « bateaux de l’année » pour suivre l’exemple du J/111, le J/70 se présente sous le double costume qui a fait le succès du J/24.

À entendre les responsables du chantier, ce sportboat serait doté d’une vocation familiale assez difficile à imaginer et encore plus à comprendre dès qu’on l’engage dans une brise un peu virile. Dans ces moments-là, tout d’exubérance et de frénésie, le J/70 semble peu enclin à accueillir croissants, tartines et bols de chocolat. L’argument avancé par les « J » pour justifier ces promesses d’enfantillage tient dans la faculté que possède ce bébé prometteur à faire descendre profondément sa quille rétractable et ainsi écarter l’inconvénient de rappels fastidieux aux fesses des minots et inutilement fatigants aux yeux des mères de famille.

Voilà pour l’habit sécurisant et fiable. La chose admise, on passe vite aux affaires sérieuses. En n’ayant qu’à pousser un engin d’à peine 795 kilos avec un spi asymétrique de 45 m², le vent se charge de faire jubiler les adeptes de vitesse à deux chiffres. Et il est rigoureusement exact que même avec toute la fratrie embarquée, la stabilité étonnante du J/70 permet d’envisager des surfs assez grisants aux alentours de 14 nœuds. La prudence recommande néanmoins d’éviter de trop tenter l’animal par vent dépassant 35 nœuds sous spi et en famille. Notre camarade d’essayage s’est retrouvé au tapis, 19 nœuds au speedo, et il a dû couper en hâte la drisse pour repartir comme si de rien n’était.

On s’amuse comme des gosses

Aux allures plus proches du vent, conditions de près serré qui permettent de jauger les réelles capacités d’un bateau à jongler avec les performances, on s’étonne d’un comportement proche du dériveur. Avec l’excitation qui l’accompagne. En moins mouillé qu’on aurait pu le craindre. Beaucoup moins, même… C’est vrai qu’on rigole comme des gosses avec ce jouet de grands qui n’a pas besoin d’être confié à un pro de la régate pour délivrer son paquet de sensations fortes. Le directeur général de J Composite en est bien conscient. Quand Didier Le Moal affirme que son chantier se devait de revenir sur le marché des petits bateaux, il ajoute aussitôt : « C’est un voilier doté de tous les préceptes de J Boats. Pas besoin d’être champion du monde pour aller s’amuser avec le J/70. C’est un voilier familial, facile d’accès, tout en offrant un niveau de performances élevé. Avec un look assurément moderne, il utilise les dernières technologies avec bout-dehors, mât et bôme en carbone. » La messe est dite. Le Moal aurait pu ajouter sans mentir que son bébé a encore l’inestimable avantage de ne pas réclamer trop de main-d’œuvre pour le transport au cul du break familial. Le mât, posé sur la semelle de pont, est pourvu d’une articulation charnière qui autorise le papa tout seul et en un temps record à s’affranchir du matage, tandis que la quille relevable permet une mise à l’eau sans grue. Rien que du bonheur sans effort superflu. L’ambition de J Composite est de parvenir à transformer les dispositions du dernier arrivé en une véritable vocation. Celle de devenir à court terme un monotype international, simple et moderne. La barre n’est peut-être pas placée si haut qu’on pourrait le croire : le bateau a déjà été vendu à une centaine d’exemplaires aux États-Unis où la marque dispose d’un chantier sur place, capable de fournir quatre unités par semaine. En Europe, le carnet de commandes est un peu moins fastueux, avec vingt contrats signés en septembre dernier, mais au moins quatre carènes en cours d’infusion dans les ateliers à la même époque.

La réputation compte moins que l’approbation

Le succès de la série dépendra beaucoup de l’attraction qu’elle réussira à exercer sur une clientèle jeune, avec ou sans famille… Le prix, environ 27 000 € hors taxes, raisonnablement ajusté, pourrait contribuer à l’engouement espéré. L’élection au rang envié de bateaux de l’année, tout au moins celui décerné par le seul magazine Voiles Magazine, à défaut de l’être par les deux références françaises : Bateaux et Voiles & Voiliers, a tardé à éclaircir l’horizon. Le JPK, du même chantier éponyme, et le Sense 46 de Bénéteau lui disputant la préférence. Accroc de parcours, finalement sans réelle importance, qui ne devrait pas empêcher le J/70 de trouver sa vraie place sur ce marché étroit où la réputation compte moins que l’approbation des propriétaires, qu’ils soient coureurs ou simplement baladeurs. L’avenir dira si, à l’instar du J/24 lancé en 1976, le bébé tout fou de J Composite peut prétendre rivaliser avec l’icône de son prédécesseur. La recette famille-régate place le 70 à mi-chemin entre les coursiers rapides que sont les J/109 et 122, les « day sailor » de la gamme, J/100 et J/95, et enfin les « sport » comme le J/80 ou le J/92 S. Un compromis que représentait assez bien le J/24, mais dans une période où la multiplication des options n’était pas aussi riche. Le 70 ne s’inscrira à sa vraie place que si le nombre d’acquéreurs est suffisant pour garantir des épreuves de classe strictement monotypique et si le chantier parvient à limiter par une jauge tout aussi stricte la course à l’armement. Rien pourtant n’interdit de penser qu’à défaut de toucher cette marche vers des lauriers prestigieux, le J/70 ne sera pas tout simplement capable d’exaucer les vœux de propriétaires d’abord attentifs à conjuguer plaisir et performances.

Fiche technique

Longueur coque : 6,93 m / 22 pi 8 po
Longueur flottaison : 6,24 m / 20 pi 6 po
Maître bau : 2,25 m / 7 pi 4 po
Tirant d’air : 10 m / 32 pi 9 po
Tirant d’eau : 1,50 m / 4 pi 11 po
Déplacement lège (poids à vide) : 795 kg / 1750 lb
Surface voilure au près : 26 m² / 280 pi²
Surface spi : 45 m² / 484 pi²
Poids du lest : 285 kg / 628 lb
Homologation : CE : C

Par Thierry D’Entrayigues

* Essai provenant de la parution Essais 2013 du magazine Québec Yachting.