Québec Yachting

Jeanneau 44 DS : un maréchal de l’eau

Au diable le qu’en-dira-t-on! Cette fois, Jeanneau franchit le pas sans hésitation et adhère aux nouvelles normes (qu’il a contribué à créer) en lançant sans hésiter un 44DS aux antipodes de ses prédécesseurs.

Le bateau est fait pour naviguer en marinant le moins possible. La coque est aménagée pour le confort maximum de quatre passagers et pas pour affronter les dures lois de l’embouchure du Saint-Laurent en régate hivernale, mais la lumière comme s’il en pleuvait, à 360 degrés, sans oublier le ciel.

Conçu exactement sur la même coque que le Sun Odyssey 439, le nouveau Deck Salon ne lui ressemble en rien. Au premier coup d’oeil, la différence s’affiche. Le pont est franchement rehaussé, en forme de goutte d’huile pointant en avant, libérant un volume considérable dans le carré et surtout dans la cabine arrière. La bôme, juchée à bout de bras, se moque de ce que les ricaneurs dégoiseront à propos des prises de ris acrobatiques : le mât est prévu pour être enrouleur. Le foc est indifférent aux esthètes qui le jugeront court sur pattes : il est autovireur et c’est tout ce qu’on lui demande. L’équipier brasseur d’écoute pourra se lamenter de ne pas trouver de winch pour faire valoir l’exhibition de ses petits bras musclés : on n’a pas besoin de lui! La place est réservée aux invités qui n’ont pas que ça à faire et ne veulent même pas apercevoir les écoutes, planquées sous les hiloires et revenant au seul barreur. Lequel a intérêt à garder un zeste de passion pour la marine manuelle : c’est lui qui fait tout, c’est-à-dire pas grand-chose, le minimum pour qu’il ne s’ennuie pas!

Bref, ce 44 DS porte bien son nom : c’est un pont transformé en salon de causerie océanique. Il faut saluer au passage la prouesse du chantier français des Herbiers dont les designers Franck Darnet et Olivier Flahaut ont réussi à habiller la jolie carène de Philippe Briand sans la défigurer. Bien que Jeanneau ne le mette pas en avant, il faut aussi saluer les performances sous voiles honorables, atteignant 5,9 noeuds mesurés pour 9,5 noeuds de vent au près. Le mât de 17 mètres portant 90 m2 de toiles n’est pas ici pour des prunes et faire de la figuration. On s’en apercevra très bien, confortablement adossé aux hiloires de 17 à 35 cm dissimulant les écoutes de grand voile et de focs. Autre différence avec le 439 : le plancher est lui aussi rehaussé. L’accès au carré passe par un bridge deck dont la fonction est de libérer de la hauteur plus bas. De plus, la plage de bain a disparu au profit d’une échelle encastrable jugée suffisante. C’est en quittant cet immense pont salon pour accéder au carré, salon lui aussi, que l’écart avec le 439 se mesure d’emblée.

En descendant cinq marches, hauteur sous barrot oblige, on accède à la véritable marque de la nouveauté selon Jeanneau. Hublots prolongeant les deux bords, au plafond comme ailleurs, larges volumes où le regard se perd, couleurs inédites, du castor à la taupe selon la lumière, corrigées par des vaigrages aux tons franchement clairs pour adoucir l’ensemble, tout cela inspire une vie douillette. Comme à la maison. Le poste aux cartes, auquel est associée une très confortable méridienne, devient plus un bureau de navigation où aboutissent tous les réseaux de contrôle de la marche du bateau. Même l’écran télé lui fait face, histoire de combler l’attente de l’amer visé. La cuisine en L, pourvue de deux éviers, de trois feux, de son four et d’un solide réfrigérateur en face, curieusement logé sous la table à cartes, est entourée d’une volée de placards et tiroirs parfaitement capables de conserver à l’abri une cantine d’escadron.

À l’avant, une grande cabine pourrait accueillir dans l’enthousiasme un couple de propriétaires exigeants. Dotée de sa propre salle d’eau avec WC privé, ouverte à la lumière par un hublot fermé, et encore pourvue d’une banquette et d’un bureau, cette cabine n’est pourtant pas celle du propriétaire, laquelle s’ouvre sur l’arrière. On y découvre avec stupéfaction une double cabine réduite à une seule, étonnamment haute de plafond, ceinturée de hublots à hauteur d’oeil, y compris vers le sillage qu’on peut regarder défiler les pieds en éventail. La salle d’eau s’approche de la salle de bains, très lumineuse elle aussi et profitant d’un agencement qui n’est pas encore celui des Suédois, mais s’invite néanmoins dans le club sans rougir. Le lit immense (2 x 2 mètres) voisine un sofa inattendu au pied des vagues. Les arrondis du mobilier, y compris la penderie, suggèrent la gratitude envers l’agenceur qui a pris le soin de se mettre à la place de l’occupant. Le détail n’en est pas un, quand on a vécu les déplacements à bord, chahuté par mer hachée, ce qui n’arrive pas qu’aux autres, loin de là, on peut l’espérer…

Compromis très réussi, tenant les promesses fièrement brandies par Jeanneau, le 44 DS doit désormais montrer sa robustesse et sa résistance aux usages. S’il y parvient, il aura trouvé son bâton de maréchal.

FICHE TECHNIQUE

Longueur hors tout : 13,34 m / 43 pi 10 po
Largeur : 4,24 m / 14 pi
Tirant d’eau : 2,20 / 7 pi 2 po
Motorisation : 54 ch
Voilure au près : 77,6 m² / 835 pi²
Déplacement: 9750 kg / 21495 lb
Carburant : 200 litres / 53 gal US
Capacité eau : 330 litres / 87 gal US
Constructeur : Jeanneau

Thierry Montoriol

* Essai provenant de la parution Essais 2012 du magazine Québec Yachting.