Québec Yachting

Louer ou acheter un voilier?

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Dance Me à quai au très joli port de Symi, en forme d’arène, sur l’île du même nom, en Grèce.

Voilà la question qu’un amateur de voile est appelé à se poser un jour ou l’autre. Et si vous en êtes rendu là, alors l’article qui suit s’adresse à vous et s’appuie sur notre propre expérience.

Avril 2011, Hilda et moi donnons rendez-vous à Mihael Primorac, agent maritime croate pour Bach Yachting, une firme des Pays-Bas spécialisée dans la vente de voiliers d’occasion dans les bassins méditerranéen et baltique. Débute alors, au départ de Split, une mémorable aventure, soit une chasse d’une semaine aux voiliers d’occasion en Croatie.

Pourquoi la Croatie? Parce que l’agent qui nous avait loué des voiliers un peu partout en Méditerranée et qui possède une grande expertise à l’échelle internationale nous suggérait de regarder du côté de la Croatie pour son rapport qualité-prix. Quant à Mihael, il nous avait été hautement recommandé pour son intégrité : un atout essentiel dans l’achat « off shore » d’un voilier!

Avec nos critères en main, Mihael nous accueille à notre descente d’avion et nous présente les fiches techniques de six voiliers candidats, tous des voiliers de marques et de séries reconnues d’une longueur de 12 à 16 mètres. Nos visites en rafales se concluent par un coup de cœur qui deviendra Dance Me, un confortable salon de pont, de marque Jeanneau Sun Odyssey DS 43, bien équipé et répondant parfaitement à nos critères.

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L’équipe tactique de SK Yachting, responsable de l’entretien de Dance Me, avec Sahin, le chef d’équipe (en blanc au milieu), et Metin, responsable des opérations (en noir). Vos hôtes biens entourés et sur le point de prendre la mer!

Nous avions, au cours des sept années précédentes, loué en formule charter des voiliers au lac Champlain, sur la côte est américaine au départ de Newport et d’Annapolis ainsi qu’en Méditerranée, plus spécifiquement en Croatie, Grèce, Turquie et Italie. Nos locations, à l’origine de quelques jours, se sont transformées progressivement en semaines et, plus tard, en séjours annuels d’un mois en Méditerranée. Nos séjours ne justifiaient toujours pas l’achat d’un voilier, mais nos projets, à compter de 2011, allaient changer. La mer, la Méditerranée en particulier, et la vie à bord nous avaient complètement conquis et s’imposaient dorénavant comme un objectif de vie.

Pour en arriver à une telle décision, longuement réfléchie d’ailleurs, il a fallu réunir les conditions propices. D’abord vendre la maison en conservant un pied-à-terre au Québec, sans quoi le projet demeurerait utopique au plan financier, puis acquérir une certaine indépendance familiale avec des enfants passés à l’âge adulte et capables de s’assumer. Enfin, pouvoir accéder au statut de « semi-retraités » pour réaliser des séjours prolongés à l’étranger. Les planètes ont fini par s’aligner pour nous permettre de passer à l’acte.

Avec le recul et l’expérience, nous aurons pu nous rendre compte des enjeux réels de posséder notre voilier comparativement à la location en formule charter, ce qu’il en coûte véritablement et ce que ça implique. Nous allons partager avec vous notre expérience de locataires et propriétaires de voilier.

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Dance Me au mouillage dans Wall Bay, golfe de Fethiye, Turquie. Simplement « idyllique »!

La propriété d’un voilier est un engagement qui comporte des responsabilités. À titre de propriétaire, vous êtes responsable de la sécurité du voilier et de ses équipages, de ses invités et des tierces parties. Vous devez vous assurer de sa conformité aux règles maritimes et navales non seulement de son pays d’origine, mais aussi des eaux territoriales dans lesquelles il navigue. Vous devez l’entretenir jusqu’à ce que vous en disposiez. Pour en préserver sa valeur ou minimiser sa dépréciation, vous devrez réaliser des entretiens préventifs rigoureux et soutenus. Enfin, vous serez tenu responsable de tout dommage causé à l’environnement résultant, par exemple, d’un déversement ou d’un échouage. Autant de sources de soucis!

De plus, l’achat d’un voilier n’a rien d’un investissement. C’est incontestablement une dépense! « Un trou dans l’eau, dit-on, dans lequel on jette tous ses sous! » Pas si faux si l’on considère qu’un voilier, naviguant en eau salée particulièrement, se détériore rapidement. L’effet combiné du soleil et de l’eau salée contribue à la détérioration accélérée des matériaux. Il s’ensuit des frais d’entretien et de remplacement élevés comparativement à une maison, par exemple, que l’on pourrait considérer comme un actif plus stable.

Alors, qu’en coûte-t-il vraiment de posséder son voilier?

Prenons le cas de Dance Me, un voilier de 13 mètres, mis à l’eau en 2003. Acheté hors taxes en 2011, Dance Me a coûté à l’achat 120 000 € (172 800 $ CAN), soit 40 % de sa valeur initiale, montant auquel il a fallu ajouter 10 000 € (14 400 $ CAN) pour le mettre à niveau avec un nouveau jeu de voiles, bimini, sprayhood et quatre batteries maison, une nouvelle radio et quelques babioles. Une aubaine, nous semblait-il, pour un voilier version propriétaire, complètement équipé, qui n’a jamais fait de charter et qui affichait seulement 1800 heures au moteur!

Annuellement, les frais d’opération de Dance Me s’élèvent à 12 000 € (17 280 $ CAN). Ils incluent les frais de marina 4 000 € (5 760 $ CAN), là encore une aubaine puisqu’ils peuvent facilement atteindre 8 000 € (11 520 $ CAN); la police d’assurance 1 000 € (1 440 $ CAN); l’entretien 5 000 € (7 200 $ CAN) et des frais divers de 2 000 € (2 880 $ CAN). Un mécanicien coûte 30 € (43,20 $ CAN)/heure en Turquie et 50 € (72 $ CAN) en Grèce. Nous pourrions économiser 2 500 € (3 600 $ CAN) en réalisant l’entretien annuel et l’antifouling nous-mêmes. Inversement, nous serions appelés à dépenser davantage si les travaux étaient exécutés ailleurs en Europe ou même en Amérique.

En ajoutant la dépréciation d’environ 6 000 € (8 640 $ CAN) annuellement (5 % de la valeur) et le manque à gagner de 5 000 € (7 200 $ CAN) additionnels sur le capital engagé dans l’acquisition de Dance Me (assumant un rendement annuel de 4 %), on obtient un coût total approximatif de 23 000 € ou 33 120 $ CAN annuellement.

Ce qu’il en coûte de posséder son voilier

L’exemple de Dance Me

  • Sloop de 13 mètres, 2003
  • Navigue en Méditerranée
  • Entretenu professionnellement

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* Les calculs ont été effectués avec un taux de change de 1,44.

En comparaison, la location d’un voilier en formule charter de taille équivalente, soit entre 12 et 15 mètres, coûte en moyenne 2 500 € (3 600 $ CAN)/semaine. Le budget annuel de Dance Me pourrait donc acheter environ 9 semaines de location par année. Vous pourriez même aller jusqu’à 18 semaines si vous partagiez le coût de vos locations avec un autre couple, par exemple. Et c’est là que, sur une base strictement financière, se trouve le point de bascule entre la location et l’achat.

Partant de cet exercice simple, l’achat d’un voilier ne s’impose pas avant d’en faire usage au minimum trois ou quatre mois par année.

Baie de Goçek, vue de notre mouillage de Wall Bay.

Baie de Goçek, vue de notre mouillage de Wall Bay.

Qu’en est-il de l’achat d’un voilier destiné au charter?

Entre l’achat et la location, il existe par ailleurs une option mitoyenne, soit l’achat d’un voilier de location. La majorité des compagnies de charter offrent la possibilité d’acheter un voilier et d’en assurer la gestion au sein de leur flotte de voiliers destinés au marché du charter. Vous rêvez de posséder votre voilier, mais manquez de temps et/ou d’argent, cette option peut s’avérer intéressante. Mais attention! Là encore, ce n’est pas pour tout le monde!

Pour l’essentiel, l’achat d’un voilier destiné à générer des revenus vise les amateurs de voile qui souhaitent naviguer 4 à 8 semaines par année sans avoir à supporter le fardeau financier et les tracas d’un voilier. Par ailleurs, ce mode de propriété ne constitue en aucun cas un investissement ni une source de revenus. Quoi qu’en disent les opérateurs, au mieux les revenus générés pourront contribuer à alléger le fardeau financier du voilier en couvrant les frais d’entretien, de quaiage, d’assurances et, si vous avez de la chance, une partie du financement.

Il faut éviter de prendre les arguments des opérateurs pour du comptant, spécialement si l’on vous assure des revenus garantis et stables. Dans ce domaine, comme partout ailleurs, il y a des opérateurs compétents et consciencieux; d’autres le sont moins et certains, malheureusement, sont carrément sans scrupules. Attention! Sachez à qui vous avez affaire et n’optez en aucun cas pour un financement sur la garantie de revenus futurs.

Pour ceux qui s’intéressent particulièrement à l’achat d’un voilier de location, je vous invite à lire l’article intitulé Before Buying a Charter Yacht sur le site de sailonline.com.

En résumé, il existe de très nombreuses compagnies de charter que l’on pourrait regrouper en deux grandes catégories : les grands opérateurs : Moorings et Sunsail, dont vous avez sans doute déjà entendu parler et desquels vous avez peut-être même déjà loué; les petits et moyens opérateurs, parmi lesquels nous connaissons Sun Charter pour y avoir loué un DS 42, et SK Yachting pour l’entretien de Dance Me, réalisé par son équipe de techniciens et par ses ressources dédiées à sa flotte de charter.

Les grands opérateurs offrent l’avantage d’être représentés internationalement et proposent des plans de propriété avec la possibilité de naviguer ailleurs dans le monde sur des voiliers comparables à celui dont vous vous serez porté acquéreur.

Les petits et moyens opérateurs fonctionnent davantage sur une base régionale. En retour, ils offrent l’avantage de la flexibilité et du service « ultra » personnalisé.

Les grands opérateurs se font construire des voiliers selon leurs spécifications dans le but d’optimiser la location par la configuration et le nombre de cabines, de réduire le prix d’acquisition par leur pouvoir d’achat et les options et de minimiser les coûts d’entretien par l’homogénéité de leur flotte. Ils sont ainsi devenus au fil du temps les plus grands clients des chantiers navals de grande production et, à ce titre, les plus imposants prescripteurs. Pour cette raison, ils proposent à leurs clients un choix limité de modèles de voiliers et d’options.

En comparaison, les petits opérateurs offrent une plus large plage de voiliers et surtout la possibilité d’y ajouter des options pour répondre à vos standards, dans les limites bien sûr des exigences de la location. Reste qu’avec un petit opérateur, vous aurez le plaisir de posséder un voilier à votre goût et vous pourrez convenir de conditions particulières telles que vos périodes et durées d’usage personnel.

Les grands opérateurs sont financièrement plus solides et vont assumer le risque en vous garantissant des revenus mensuels. En contrepartie, cette garantie se fera souvent au détriment des standards de qualification des locataires afin de maximiser l’occupation et la qualité de l’entretien du voilier pour en minimiser les coûts d’opération. Au terme de sa vie utile au sein de la flotte (+/- 5 ans), abusé et endommagé par le manque d’expérience de ses locataires et minimalement entretenu, le voilier aura perdu de sa valeur.

Les plus petits opérateurs, quant à eux, partageront le risque financier en vous livrant des revenus plus élevés tout en vous facturant par ailleurs les frais de gestion, de promotion et d’entretien de votre voilier. Ainsi, vous devrez assumer une bonne partie du risque. Par contre, la principale rémunération de l’opérateur provenant de la location et proportionnelle au taux d’occupation le motivera à optimiser la location de votre unité. Vous en sortirez tous les deux gagnants! L’entretien sera généralement bien supérieur à celui des grands opérateurs et contribuera à maintenir la valeur de revente de votre voilier au terme du contrat de location. Une option à considérer, surtout si vous prévoyez conserver votre voilier au terme du contrat.

Dans les faits, au terme de votre contrat, vous aurez trois options : conserver votre voilier, le vendre (ce qui peut s’avérer ardu) ou le retourner à l’opérateur en échange d’un nouveau voilier de location. Quelle que soit votre option, la voie de l’achat d’un voilier à revenus, garantis ou non, reste largement une décision pour le long terme.

L’achat d’un voilier de location aura peu d’intérêt si vous comptez naviguer moins de quatre semaines par année et n’envisagez pas de vous y engager pour le long terme. Vous aurez bien avantage à continuer de louer. Vous n’aurez aucun souci et aucune responsabilité une fois que vous aurez déposé les clés au retour de votre croisière et vous bénéficierez du meilleur retour sur votre dépense. Les bons opérateurs vous offriront un support logistique 24/7. De plus, vous pourrez faire l’expérience de divers modèles de bateaux et demeurer toujours à la fine pointe des nouvelles technologies en louant des unités plus récentes.

En fin de compte, l’achat d’un voilier n’est pas qu’une simple affaire de sous : c’est un choix de vie! Et ça aussi, ça se monnaye! Combien êtes-vous prêt à payer pour réaliser votre rêve? Vous seul avez la réponse!

En espérant avoir pu vous éclairer!

Bonne réflexion!

Hilda et Jacques sur Dance Me

Hilda et Jacques naviguent en Méditerranée depuis 2005. Pour tout commentaire ou toute information supplémentaire, n’hésitez pas à leur écrire un courriel à j.chalifour@chalifourcom.com.


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En résumé

Vous envisagez d’acheter un voilier? Alors, considérez ceci :

Si vous prévoyez naviguer :

Moins de 4 semaines

À moins de 4 semaines, vaut mieux louer son voilier en formule charter et profiter au maximum de tous les avantages que cela comporte : tranquillité d’esprit, support logistique, flexibilité, expérience et destinations variées.

Entre 4 et 8 semaines

Pour ceux qui prévoient naviguer entre 4 et 8 semaines mais qui souhaitent posséder leur voilier, alors la formule d’achat d’un voilier de location peut s’avérer une bonne option. Il s’agit toutefois d’une décision à long terme puisqu’une fois engagé, difficile d’en sortir rapidement et économiquement. Aussi, vous aurez à choisir entre confier votre achat à une grande compagnie de charter ou à une plus petite. Un pensez-y bien en fonction de votre motivation première et de votre profil d’acheteur.

Plus de 3 mois

Enfin, l’achat s’impose de lui-même pour ceux qui souhaitent naviguer plus de 3 ou 4 mois par année et profiter pleinement d’un voilier répondant parfaitement à leurs goûts. Encore là, il faut toutefois bien y penser puisqu’il est beaucoup plus facile d’acheter que de revendre et, entre les deux, persistent les frais annuels d’entretien, de quaiage, d’assurances et de permis de navigation.

Par Jacques Chalifour

Photos : Hilda Luyt

*Cet article a été publié dans le magazine Été 2016 de Québec Yachting.