Québec Yachting

Le fond marin! Quel fond marin?

Un bateau amarré à un quai à Baie-Saint-Paul. Crédit photo : Pukkalnc, Shutterstock.

Je vous avais entretenu, en 2014, sur les dégagements verticaux et l’attention particulière que vous devez porter afin de naviguer de façon sécuritaire. Personne n’aime abîmer son embarcation à cause d’un heurt inopiné sur une structure rigide passant au-dessus d’un cours d’eau ou de griller tous les instruments électroniques à bord parce qu’un arc électrique s’est créé entre le mât de son embarcation et une ligne électrique. Mais il faut aussi porter une attention particulière aux profondeurs.

Je ne vous apprendrai rien en vous expliquant qu’aujourd’hui les profondeurs sont obtenues à partir de systèmes ultrasoniques dont les fréquences ne sont pas affectées par la présence de poissons ou d’objets entre deux eaux. Ces systèmes s’avèrent très utiles, surtout lorsqu’on ne peut voir distinctement les structures marines en eau turbide ou peu transparente. Pour un substrat solide comme le roc, les systèmes ultrasoniques déterminent très bien la profondeur du fond marin. Le besoin de calibrer les puissances d’émission et de réception du son est donc moins important. Il y a très peu d’absorption du son par un fond dur, compact et dense. Le retour de signal est quasi total et très concentré dans le temps; il faut juste éliminer les doubles trajets. Il en va autrement avec des fonds meubles, à densité variable ou ayant une végétation dense de grande dimension. Si vous n’êtes pas familier avec les symboles d’une carte marine, je vous réfère à la carte 1 (Signes conventionnels, abréviations et termes).

Les fonds de type sablonneux, graveleux ou rocailleux s’adaptent à la forme du bassin, à la profondeur, aux courants et aux vagues (fréquences et longueurs d’onde). Plus la granulométrie du substrat est fine, plus le fond marin est sensible aux changements des vents, du courant, du débit et des niveaux d’eau.

Par exemple, les dunes de sable entourant le fond marin aux îles de la Madeleine se déplacent lors de grosses tempêtes, mais celles-ci reprennent leur place initiale quelques jours plus tard. Il faut donc savoir ce qu’il s’est passé les jours précédents pour adopter une navigation sécuritaire ou demander aux habitués de la place à quoi s’attendre lorsqu’on navigue près des côtes. Une relative grande profondeur peut devenir un haut-fond exceptionnel. Les bris seront plus sur notre orgueil de navigateur que sur notre embarcation, bien qu’il faille procéder à une vérification et à une évaluation des dégâts le plus tôt possible. Cela s’applique aussi dans les parties estuariennes marines et fluviales.

Le secteur fluvial ne subissant pas l’effet de la marée est aussi sujet à des changements. Le courant régulier a tendance à déplacer légèrement les dunes de fond meuble vers l’aval; une route sécuritaire peut devenir non sécuritaire pour quelque temps parce que le haut-fond associé à une dune obstrue le passage obligeant à faire un détour. Qui ne se souvient pas aussi d’une crue subite et inattendue? Il peut pleuvoir ou y avoir un bris d’un barrage en amont sur une rivière. Toute cette eau turbulente charrie des débris et déplace les fonds graveleux et rocailleux qui, en temps normal, sont plutôt stables. Lorsque cette eau arrive dans un plus grand bassin d’eau, les débris charriés retombent sur le fond. La nature prendra quelque temps à replacer le tout, mais dans l’intermédiaire, il faudra être vigilant. Encore une fois, il faudra demander aux habitués de la place à quoi s’en tenir.

Les fonds glaiseux offrent un autre défi, soit celui de déterminer la profondeur du fond. Cela peut sembler une hérésie, mais le passage d’un milieu liquide à un milieu solide ne se fait pas toujours de façon tranchée. Par exemple, quand arrêtez-vous de verser une bière ou un vin dans un verre en présence de lie? Certains ne s’en préoccuperont pas et d’autres arrêteront aux premiers signes de la matière non souhaitée. Il en va de même en navigation. Les hydrographes ont établi des normes pour la détection des fonds marins. Cela correspond-il à votre niveau de confort, à la solidité ou à la puissance de votre embarcation? Sur ce point, c’est votre expérience qui prévaudra dans la réponse à cette question.

Les fonds ayant une végétation dense de grande dimension offrent des avantages et des inconvénients. La végétation sous-marine stabilise les fonds marins en conditions météorologiques adverses; sur ce point, il s’agit d’un avantage pour la navigation. Il faudra des conditions nécessitant de grandes quantités d’énergie pour briser cet état d’équilibre, comme un ouragan, un glissement de terrain sous-marin ou un tsunami. Par contre, la végétation peut agir comme un fond glaiseux selon sa densité, tout en cachant à l’occasion une roche ou un bloc erratique. Ce n’est pas parce qu’on a passé à plusieurs reprises sur un trajet donné que nous avons toujours passé exactement au même endroit; savons-nous vraiment ce qui se trouve à 5 mètres de chaque côté de notre embarcation?

En plus des facteurs naturels sur la précision de la détermination des fonds marins, il faut ajouter votre habileté, la stabilité de votre embarcation et les équipements dont vous disposez pour connaître les conditions dans lesquelles vous naviguez.

Bref, il faut se connaître, bien connaître son équipage, son embarcation et le milieu dans lequel on veut naviguer afin d’utiliser leur plein potentiel tout en étant sécuritaire. On préfère parler avec vous que de parler de vous.

Je vous souhaite une bonne planification pour la prochaine saison.

Bernard Labrecque
Président
Association canadienne d’hydrographie
Section du Québec
bernard.labrecque@globetrotter.net

*Cet article a été publié dans le magazine Hiver 2018 de Québec Yachting.