Québec Yachting

Les formateurs nautiques, les experts maritimes, les réseaux sociaux et la documentation technique

Paradigme 2.0 à l’ancre à El Gato.

Nos voiliers sont des véhicules de découverte fantastique. Sur les lacs du Québec ou des États-Unis ou sur les mers du monde, ils nous amènent dans des lieux inaccessibles autrement. À travers les différentes sources d’information disponibles aujourd’hui, comment s’assurer d’obtenir la bonne information sur l’entretien de notre bateau?

Trace de corrosion sur la base des étais intermédiaires.

Bien que nos bateaux de plaisance modernes représentent un équipement relativement complexe et de plus en plus évolué techniquement, les paramètres de leur fonctionnement sont bien connus. Les avaries majeures sont incroyablement rares, si on maîtrise les paramètres de son bateau et qu’on applique les bonnes normes d’entretien. Mais il peut être difficile de connaître ces dernières et de différencier les sources d’information entre elles. Les formateurs et autres « experts » du domaine nautique veulent certainement vous faire partager de bonne foi « leurs grandes expériences » de navigateurs. Il en est de même de toutes les chaînes YouTube de plus ou moins bonne qualité technique qui vendent le rêve de la croisière au long cours dans les Bahamas. Il reste que la meilleure source d’information sur l’entretien nécessaire des différents éléments techniques de votre bateau s’avère votre manuel du propriétaire et de vos équipements spécifiques. Attention aux conseils de votre vendeur de bateau. Ces entreprises saisonnières ne sont malheureusement pas toujours au niveau technique voulu.

En 2019, j’étais à San Diego, une des capitales mondiales de la voile. J’en ai profité pour réaliser plusieurs améliorations et modifications à mon voilier. Les ressources techniques de San Diego et les prix relativement bas des pièces en font un lieu idéal pour remettre en état un voilier. Paradigme avait alors environ 40 000 milles nautiques sous son étrave en six ans. Je me demandais s’il était temps de changer mon gréement dormant. Étant très occupé avec l’installation de mon dessalinisateur, de mon nouveau Code 0 et de mon hydrogénérateur, j’ai pris un raccourci. Au lieu de trouver l’information technique dans la documentation Seldén au sujet de mon gréement dormant, j’ai engagé un expert local dont le commerce consiste en grande partie à vendre de l’équipement Seldén. Je donne donc 300 $ US à mon expert en me disant « il va sûrement trouver des trucs en mauvais état pour me vendre quelque chose ». Je lui explique que j’ai navigué 40 000 milles nautiques depuis six ans et que je veux m’assurer que mon gréement dormant est encore sécuritaire. Mais surprise : il fait un tour rapide du voilier pour me dire que selon lui mon gréement est en bon état et sécuritaire.

Brin de métal brisé sur l’étai intermédiaire tribord.

En février 2021, un étai intermédiaire s’est brisé pendant un passage côtier entre Zihuatanejo et Puerto Vallarta. J’ai été chanceux dans ma malchance, l’incident n’aura pas eu de conséquences. Je crois que ce qui m’a sauvé est que je passe tout mon temps en navigation à inspecter tous les systèmes critiques de mon bateau incluant le gréement dormant. J’ai donc été en mesure d’ajuster ma navigation pour protéger mon gréement avant la catastrophe. À la suite de l’incident, je me suis mis à « faire mes recherches » pour comprendre pourquoi j’avais eu cet incident qui aurait pu être beaucoup grave. J’AVAIS des problèmes avec mon sail-drive à ce moment (je vous l’expliquerai dans un autre article).

La connexion en J neuve de l’étai intermédiaire.

La documentation est très claire sur le sujet dans le livre INSTRUCTIONS ET CONSEILS pour le mâtage et les réglages de votre mât Seldén à la page 64. Il est recommandé de « procéder à une vérification minutieuse de votre gréement au moins une fois par an ou avant toute grande navigation ». De plus on mentionne « … de remplacer l’intégralité du dormant après 20 000 milles nautiques, soit la durée de vie standard estimée des dormants en câbles ». Il faut conclure que j’ai été extrêmement chanceux de ne pas perdre mon gréement qui avait plus de deux fois cette distance parcourue. Il faut aussi comprendre que si vous ne connaissez pas le nombre de milles nautiques parcourus par votre bateau depuis le dernier changement de gréement dormant, il est prudent de le remplacer AU COMPLET avant d’entreprendre un voyage à voile. Il faut aussi conclure qu’on ne parle pas ici de chance ou de malchance, mais bien de procédures et de données techniques connues qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses si on n’agit pas en conséquence.

Nouveau ridoir.

Soyez aussi conscient que bien des experts ne connaissent simplement pas l’ensemble de ces données pour votre bateau. Ceci ne veut pas dire de ne pas consulter d’expert maritime ou de formateur nautique au besoin, mais vous devez exiger que leurs avis et recommandations soient fondés sur des documents techniques appropriés. Il peut s’agir d’une norme de Transports Canada ou de l’ABYC ou une donnée technique du fabricant de l’équipement en question. Si votre conseiller-expert-formateur ne peut pas supporter ainsi son avis ou opinion, vous devez conclure qu’il n’est pas compétent pour vous aider.

La croisière à voile est un rêve que je vis depuis près de 10 ans. Je suis dans le milieu de la voile d’une façon ou d’une autre depuis 1977. J’ai donc vu plusieurs générations de marins réels ou rêveurs. Des histoires de toutes sortes, du rêve pur dans bien des cas. Il faut TOUJOURS faire attention parce que tous les rêves peuvent se transformer en cauchemar.

Un bateau et ses équipements pas entretenus selon les normes de leur fabricant amène toujours une part de problèmes et de risques. Consultez le manuel du propriétaire de votre bateau et de vos équipements et appliquez les procédures d’entretien et d’opération qui y sont décrites. Les experts-formateurs et YouToubeurs peuvent vous aider à apprendre et à comprendre ces procédures. Mais ils ne doivent en aucun cas les remplacer et/ou les modifier.

Cette saison, deux voiliers québécois ont perdu leur mât. Personne n’a été blessé. Tant mieux! Sur la côte Ouest du Mexique où je navigue, un voilier a coulé le mois passé. Un propriétaire de catamaran est mort cet hiver dans des conditions de mer relativement calmes. Les détails ne sont pas connus, mais il semble qu’il soit tombé de son bateau qui est venu s’échouer sur la plage de Loreto BCS. Le corps du propriétaire a été retrouvé flottant à la surface. À l’hiver 2021, j’ai personnellement vu quatre échouages causés par des systèmes d’ancrage défectueux, et deux bateaux québécois ont coulé il y a trois ou quatre ans.

Paradigme 2.0 à l’ancre à El Gato.

Le rêve de la croisière est possible. On peut naviguer de façon sécuritaire à condition d’adopter une attitude préventive adéquate. On doit approcher ce rêve avec respect, il ne faut pas croire tout ce qui est publié sur YouTube et les formateurs qui encouragent les gens à « partir à tout prix ». La mer n’a jamais pardonné les imprudences. Dès que l’on omet une procédure d’entretien ou que l’on ne respecte pas une procédure d’opération, on s’expose à des risques qu’il est difficile, voire impossible de calculer.

Par Nicolas Authier

*Cet article a été publié dans le Vol. 45 No. 3 de Québec Yachting. Abonnez-vous, c’est GRATUIT!